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Journal (1882-1887)
de Jules Destrée

Jules Destrée - Journal (1882-1887)

Genre : Journal
Format : 16 x 24,5 cm
Nombre de pages : 439 p.
Date de publication : 1995
ISBN : 2-8032-0015-5
Prix : 22,30 €
Texte établi, présenté et annoté par Raymond Trousson

À propos du livre

Pour l'essentiel inédit, le journal tenu par Jules Destrée de 1882 à 1887 se révèle d'un intérêt capital pour la connaissance des années de jeunesse du futur ministre. Il permet de suivre, presque jour par jour, son évolution depuis la fin de ses études de droit jusqu'à la rencontre avec celle qui deviendra son épouse et lui apportera la stabilité.

Ce journal ne contient pas seulement le compte rendu des voyages – très culturels – de Destrée en Italie, en Hollande ou en Angleterre, où il hante les musées et donne libre cours à sa passion pour la peinture. Il est aussi un banc d'essai pour l'écrivain qu'il se prépare alors à être, puisqu'on y trouve des portraits, des esquisses de récits et de nouvelles, et l'on peut y suivre la gestation de sa première œuvre littéraire, les Lettres à Jeanne. Destrée y note aussi ses contacts avec les écrivains de la Jeune Belgique – Gilkin, Rodenbach, Giraud, Verhaeren ou Waller –, dit sa passion pour les naturalistes et ses visites à Zola ou à Huysmans, consigne les débats entre La Jeune Belgique et L'Art moderne de Picard, évoque l'ensemble des mouvements culturels et politiques de la Belgique des années 1880. Document sur l'artiste, le journal l'est encore sur le jeune avocat, très tôt en contact avec les milieux ouvriers de la région de Charleroi, témoin des grandes grèves de 1886 et s'engageant peu à peu, et non sans hésitations, dans la vie publique. Ce sont enfin des pages de confidences très personnelles, tout à fait inconnues, sur son évolution sentimentale et ses amours de jeunesse, sur les incertitudes d'un homme qui cherche sa voie, marqué par le pessimisme fin de siècle, partagé entre progressisme et décadence, entre «bourgeoisisme» et action sociale. Le journal se révèle un document essentiel pour la connaissance de l'homme, rédigé d'une plume avertie et vive et marqué au coin de la sincérité.

Lire un extrait

Lundi 28 août 1882

Je reprends et je continue, là où je l'ai laissé, le récit de ma seconde journée de voyage. II. Le Saint Gothard. De Göschenen à Airolo (jeudi 10 août 1882).

Au sortir du Trou d'Uri, changement complet. Une grande vallée dans les montagnes, de verdoyants pâturages étincelants de soleil, un village devant nous, un autre dans le lointain. Nous sommes dans l'Urseren ou vallée d'Uri, qui était vraisemblablement jadis un lac avant que la Reuss n'eut raviné les Schoëlenen. C'est une grande plaine verte, presque sans arbres (un hiver de 8 mois leur défend d'y prospérer), traversée dans sa longueur par une bonne Reuss, bien sage et bien tranquille qui fait contraste avec le sauvage torrent que nous avons vu tantôt bondir entre les rochers. L'Urseren est le point de croisement de la route du St Gothard avec celle qui par la Furka et l'Oberalp relie le Valais aux Grisons.

À 20 minutes du Pont du Diable, nous atteignons Andermatt, la principale localité de la vallée. Des hôtels, quelques magasins de photographies et de «minéraux», des chalets enfumés aux pi-gnons surplombants, qui forment une feule et longue rue, avec une double rangée de dalles pour les roues des voitures, voilà tout le village. Nous nous arrêtons un instant à acheter des photographies et en causant avec la marchande, nous apprenons avec surprise que le chemin de fer du St Gothard, loin de ruiner la vallée en lui enlevant le transit et les voyageurs, lui a au contraire amené un nombre de touristes plus considérable que les années précédentes. À gauche se détache le chemin de Dissentis. Sur une hauteur, la chapelle Mariahilf.

Andermatt est bientôt traversé et nous reprenons la route à plat cette fois dans la direction d'Hospenthal. Un peu plus de monde ici, quelques voitures, de rares touristes, des naturels qui travaillent aux champs. Entre les deux villages, il [y] a 3 bons kilomètres et à mesure qu'on avance, Hospenthal semble reculer. Nous allions arriver quand tout à coup le ciel se voile sur nos têtes, les nuages noirs s'amoncellent sur la vallée ou du moins sur la partie où nous nous trouvions, les sommets qu'on apercevait dans le lointain disparaissent et pendant que derrière nous, on pouvait voir Andermatt et ses environs baignés

dans le soleil, sous l'azur clair du ciel bleu, la pluie se met à nous tomber avec rage, à grosses gouttes. Abrités (?) sous le parapluie nous hâtons le pas et nous entrons à Hospenthal. Là, une halte et du délicieux petit vin blanc dans un bouchon qui servait aussi de bureau de poste. Puis, la pluie bientôt passée, nous nous remettons en marche. Hospenthal est plus joli maintenant. Ses maisons, aux tons sombres de bois fumé par les ans, s'étendent autour de la Reuss, au pied d'une colline où s'élève encore une vieille tour en ruine, dominant le clocher. C'est, dit-on, le reste d'un fort bâti par les Lombards. Dans le fond, au loin, la montagne, des glaciers.

La route de la Furka nous quitte à droite, à la sortie du village. Celle du St Gothard monte en serpentant en de longs circuits qu'on peut éviter par un sentier assez facile. Beaux coups d'œil sur la vallée d'Uri, ses villages et sa ceinture de montagnes; puis on tourne, et la route déroule son long ruban gris dans une vallée de nouveau sauvage et déserte. Plus personne, aussi loin que l'on peut voir ; ni piétons, ni voitures. Le soleil commence à chauffer terriblement et nous marchons, nous marchons toujours. À gauche, la vallée de Guspis abrupte, désolée, dominée par le Pizzo Centrale, la plus haute cime du massif du St Gothard. Dans le fond, çà et là des traces de l'ancienne route qui suit la Reuss que nous dominons. Le soleil augmente toujours; on commence à compter les kilomètres. De plus en plus chaud, je compte les bornes; j'en trouve environ 300 dans un kilomètre. Temps en temps une vache qu'on voit dans les rochers, agitant sa clochette. Après une grande courbe de la route, la première cantoniera. Elle a l'air déserte; d'ailleurs, ces refuges ne rendent leurs services qu'en hiver, quand la neige et les tourmentes retiennent les voyageurs.

Ce soleil est insupportable, et cette route n'en finit pas. Nous commençons à tirer la jambe; nos sacs nous pèsent étrangement et nous varions toutes les cinq minutes notre façon de les porter. Enfin à un détour, nous apercevons le pont de Rodont après lequel nous aspirions depuis longtemps. C'est ici que nous devions décider si nous ferions l'excursion supplémentaire au lac de Lucendro, le réservoir de la Reuss. La discussion ne fut pas longue et notre empressement à arriver à l'albergo San Gottardo était égal. À la deuxième cantoniera , on nous offre du lait; mais nous passons, impatients d'atteindre le col. Nous traversons le pont du Rodont, en disant adieu à la Reuss et clopin clopant, nous montons, nous montons toujours. Quelques minutes après le pont, on voit à droite entre les montagnes, un coin du beau lac vert de Lucendro. Puis l'on monte encore, toujours, dans le soleil. Enfin, au loin, des toits, quelques maisons. Nous sommes au col, à 2.111 mètres au-dessus de la mer. L'air est plus vif, et le soleil paraît moins chaud. Par une bizarrerie inexpliquée, la route se bifurque un instant pour se réunir bientôt. Pourquoi deux routes? Plusieurs petits lacs, des flaques d'eau à droite et à gauche, dont les unes envoient leurs eaux par la Reuss, aux mers septentrionales, les autres par le Tessin, vont rejoindre la Méditerranée! Encore un effort et nous tombons épuisés, affamés, à l'Hôtel du Mont Rose. Le dîner nous semble succulent et cependant quels plats, grands dieux! Bizarre cuisine ! Notre faim un peu assouvie, nous regardons nos voisins de table d'hôte. Des Français presque tous. Un monsieur qui a payé 35 fr[an]cs pour une voiture d'Andermatt à ici et retour. Un autre avec son fils, très aimable, qui prend Père pour un rédacteur des Débats. Notre air un peu minable est corrigé par la décoration que porte Père. Ce monsieur cause très agréablement avec nous, un peu de tout. En face de l'hôtel, la vieille au-berge du St Gothard, à l'air sombre, et sinistre même, un peu coupe-gorge. Les autres toits sont ceux de l'hospice que le canton du Tessin entretient pour les pauvres et qu'administre M. Lombardi, le propriétaire de l'hôtel.

Après une sieste réparatrice, nous rebouclons nos sacs sur nos épaules et brandissant nos alpenstocks, nous repartons. De l'hospice à Airolo, 1 1/2 [heure] de marche, dit Baedeker. Il y en a bien plus, modèle des ciceroni! même en prenant par les sentiers qui descendent en ligne droite, à travers les interminables circuits que décrit la route dans le Val Tremola. Au fond de la vallée, de la neige, des restes d'avalanches sans doute; et nous voilà, abandonnant la route, glissant, sautant, descendant à travers les rochers (il y a là des endroits où on dirait que tous les cailloux de la terre se sont donné rendez-vous). Le plaisir de fouler la neige aux pieds par un brûlant soleil est immense et ne doit pas se manquer. C'était un grand amas de neige durcie que le courant du Tessin avait coupé en deux et emportait peu à peu?

Nous rejoignîmes la route, qui déroulait ses immenses zigzags, que notre équipée glaciaire nous avait évités. Il est vrai qu'elle nous avait fait perdre le plaisir de contempler dans le roc l'inscription qui, toujours selon Baedeker, rappelle les combats de 1799. N'oublions pas de mentionner une cascade de toute beauté, formée par le Tessin, sorti du lac de Sella, au premier pont qui le traverse en venant de l'hospice.

La route descend moins ; elle va maintenant à peu près droit. Puis encore une fois, pendant quelques cents mètres, elle se dédouble. Pourquoi? Des enfants nous offrent des pierres, celui-là des grenats, l'autre des cristaux. Leur air misérable nous touche et nous leur laissons quelques centimes. Mais à chaque détour de la route, nouveaux enfants, nouvelles offres. Cela commence à vous scier et ne vous touche plus du tout. Au sortir du Val Tremola, pour abréger nous passons un pont abandonné et suivant les vestiges de l'ancienne route, un peu inquiets de nous être égarés. En entrant dans le Val Leventina, un coup d'œil charmant. Dans la verdure des monts, des prairies et des villages; à nos pieds Airolo; plus loin le défilé de Stalvedro et les villages de la vallée. La vue est étendue, riante et gaie et contraste avec la beauté sauvage du Val Tremola que nous venons de traverser. La contrée a déjà un tout autre aspect; les villages blancs qui étincellent aux rayons du soleil, avec leurs clochers de style italien, s'aperçoivent au loin, nombreux, aux bords de la rivière. Puis on descend à travers des sapins, par mille sentiers qui coupent les nouveaux détours de la route. Suivant le conseil de Baedeker, nous prenons l'ancienne route, en suivant la ligne de poteaux télégraphiques (téléphoniques même, puisque l'hospice est relié par cette voie à Airolo). Ce chemin est évidemment plus court que la grande route; mais je ne le conseille pas aux gens fatigués dont les cailloux durs, inégaux, perçants de cette route blesseraient trop vivement les pieds endoloris. Ces maudites pierres nous arrachèrent bien des cris de douleur avant d'arriver à Airolo. Pour les punir, nous en avons expatrié quelques-unes, de faible volume, qui ne sont pas sans intérêt au point de vue minéralogique. Pour un vrai savant, ce St Gothard doit être un paradis, tant est grande la richesse du sol et la diversité de la flore!

Nous traversons presque tout le village pour nous arrêter à l'hôtel de la Poste. Là, halte, repos et repas. Puis avant la nuit, un tour dans le village. Déjà on parle partout italien. Sur les maisons, de temps en temps des enseignes qu'on s'amuse à traduire. Beaucoup de «fabrica di pasta» et de «vino, birra e liquori». Aux portes des maisons, des rideaux de diverses couleurs. Dans la vallée, le Tessin; puis le chemin de fer qui sort de la montagne et la station d'Airolo, qui comme pour Göschenen a puissamment contribué à la prospérité du village; des rues, ou plutôt des vestiges de rues, des jardins; çà et là, des ouvriers italiens. À deux reprises nous en avions rencontré sur la montagne; les deux fois, ils dormaient béatement dans l'herbe, se chauffant au soleil comme des lézards. Ici, ils se promenaient, flânant. J'en ai vu occupés à un mur, se mettant à 4 pour poser une brique. Presque tous ceux que j'ai pu voir, ne faisaient rien. Aussi il est très étonnant de penser que c'est à ces ouvriers que nous devons en grande partie les grands percements modernes!

Après cette petite reconnaissance des lieux, j'écrivis encore deux cartes-correspondance à Georges et à ma tante Louise. Puis de retour à l'hôtel, longue consultation entre Père et moi sur l'emploi de la journée suivante. Irait-on jusque Milan, ou bien nous arrêterions-nous au lac Majeur pour gagner le Simplon? Grande indécision. Après avoir consciencieusement feuilleté Baedeker, mûrement délibéré, nous finîmes par décider de ne décider rien, et d'aller demain jusque Bellinzona où nous nous informerions des billets existants et d'où nous partirions soit pour Milan, soit pour Locarno. Au fond, j'avais grande envie d'aller à Milan. C'était l'Italie! Tout en songeant et en délibérant le pour et le contre, vaincu par la fatigue, je m'endormis pour rêver du ciel bleu. Irions-nous à Milan?

Table des matières

Présentation

Mémorial 1882

À l'Université (82-83)

Septembre 1883 - Septembre 1884. Notes et souvenirs

Année 1884. Notes et souvenirs

Septembre 1884 - Mars 1885. Notes et souvenirs

1885

1er avril 1885 - 23 mars 1887

1886

1887


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