Biographie
Né le 2 février 1962 à Dombasle-sur-Meurthe, où il réside toujours, fils d’un gardien de la paix et d’une ouvrière en confection, Philippe Claudel voue à sa terre lorraine une indéfectible affection.
Après une période d’hésitations, il entame un cursus universitaire. Agrégé de lettres modernes, il consacre sa thèse à André Hardellet. Son parcours dans l’enseignement passe par l’Université de Lorraine, au sein de laquelle il enseigne à l’Institut européen du cinéma et de l’audiovisuel. Il a également été, pendant douze ans, professeur en milieu carcéral — expérience dont témoigne Le Bruit des trousseaux (2001) — et auprès d’adolescents handicapés. En 1999, sa rencontre avec Jean-Claude Pirotte l’amène à publier chez Balland son premier roman, Meuse l’oubli (1999), qui prend la Belgique pour partie de son décor. On y trouve les traces d’un tropisme septentrional qui se tournera aussi, avec plus de fidélité encore, vers le proche orient lorrain de ses origines. Dans son cadre élémentaire, composé d’une rivière, d’une forêt et, entre les deux, d’un petit bourg brouillardeux, ce roman inaugural conte une histoire de deuil et de résurrection. Le narrateur éprouvé mais réconcilié y goûte enfin, au terme de son parcours initiatique, le sentiment de rejoindre la grande famille des humains ordinaires. Déjà, l’univers claudélien s’affirme. Il postule un regard sur le monde épuré par la douleur.
L’essai est vraiment transformé en 2000, avec la publication de Quelques-uns des cent regrets, qui met en scène le double mouvement, a priori contradictoire, d’un homme confronté au deuil de sa mère : celui d’un retour aux sources et celui d’un détachement par rapport au passé. Cette fois, la tragédie et le burlesque se mêlent intimement dans la description d’un monde à ras de réel mais néanmoins accessible au symbole. Odyssée drolatique et désespérée, le roman emmène personnage et lecteur à la découverte du mensonge essentiel sur lequel la vie, parfois, repose.
Le succès critique se double ensuite d’un succès public avec Les Âmes grises, qui vaut à Philippe Claudel le prix Renaudot et lance enfin une véritable carrière d’écrivain. Cet objet fictionnel non identifié déboule dans le paysage littéraire de l’an 2003. En France, non loin du front et d’une Grande Guerre dévoratrice que l’auteur décrit à la fois comme monstre invisible et pays caché, dans le microcosme maussade et clos d’une petite ville, a lieu le meurtre d’une fillette. Défile alors une inoubliable galerie de notables, suspects ou chasseurs, et de gens simples, panel de toutes les innocences et de toutes les cruautés. Dans ce monde-là, les faibles n’ont aucune chance. La grisaille du titre l’emporte pourtant. Ce roman terrible, vibrant d’un regard lucide et violemment compassionnel, fera plus tard l’objet d’une adaptation cinématographique qui, pour l’auteur, ne restera pas sans conséquence.
Paru en 2007, Le Rapport de Brodeck marque un autre temps fort de l’œuvre claudélienne. Ce récit ambitieux, à la fois clair et méandreux, emprunte une forme romanesque complexe pour mieux dire, à travers une transposition de l’Histoire avec un grand H — et notamment l’expérience des camps —, la condition précaire de l’homme, la faculté qu’il a de renoncer à son humanité pour faire le mal, mais aussi, en contrepoint, sa résilience salvatrice, la possibilité qu’il garde malgré tout de préserver en lui l’ultime étincelle, non seulement pour survivre au sens biologique du terme, mais encore pour affirmer son refus du néant. Brodeck témoigne : «L’homme est grand, dit-il, mais nous ne sommes jamais à la hauteur de nous-mêmes.» La parabole est ici universelle. Le roman remporte le Goncourt des lycéens.
En 2010 paraît une nouvelle œuvre majeure : L’Enquête. L’incommunicabilité y règne à tous les étages d’un monde en déshérence, où l’on croit entrevoir les silhouettes du Château de Kafka, du Metropolis de Fritz Lang ou du Playtime de Tati. Une société faussement réglée mais authentiquement dysfonctionnelle s’y drape dans les voiles trompeurs d’une logique industrielle. Rien n’y marche mais personne ne l’avoue. Englué dans ses faux-semblants, un enquêteur anonyme finit par y perdre pied. Au bout d’un parcours catastrophique et continûment burlesque, Claudel livre une fable foisonnante, aussi drôle qu’angoissante. L’Enquête n’explique rien, mais pose la seule question qui vaille d’être posée : celle du sens même de notre existence.
Le parcours romanesque continue, toujours marqué par la fidélité à un type de littérature généreuse et par la fidélité tout court. Le décès de son éditeur et ami Jean-Marc Roberts lui inspire ainsi le récit Jean-Bark (2013) et le roman L’Arbre du pays Toraja (2016). Car pour Philippe Claudel, mordu d’alpinisme de longue date, l’écriture demeure plus que jamais une montagne à gravir sans cesse, comme il s’en explique dans Le Lieu essentiel (2018) recueil d’entretiens éclairant cette double et inépuisable fascination.
Philippe Claudel continue en outre à publier des récits brefs et des nouvelles chez une série de petits éditeurs amis. Polypraticien de l’imaginaire, il se frotte aussi au théâtre, auquel il donne d’abord deux pièces, Parle-moi d’amour (2008) et Le Paquet (2010), créé par Gérard Jugnot. Il y revient en 2019 avec Compromis. Surtout, à partir de 2002, le cinéma le requiert, en premier lieu comme scénariste, puis comme réalisateur de quatre longs métrages : Il y a longtemps que je t’aime (2008), César du premier film et BAFTA du film étranger; Tous les soleils (2011); Avant l’hiver (2013) et Une enfance (2015), où il joue lui-même le rôle d’un éducateur.
Les honneurs ne lui font pas défaut. L’Académie Goncourt l’invite à siéger le 11 janvier 2012. Philippe Claudel est ensuite fait docteur honoris causa de l’Université catholique de Leuven en février 2015. L’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique l’élit comme membre étranger littéraire le 14 novembre 2015, au fauteuil 40, où il succède à Assia Djebar.
– Xavier Hanotte Bibliographie
E-bibliothèque
Discours de réception (séance publique du 29 avril 2017)
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