Biographie
Georges Doutrepont naît le 17 octobre 1868 à Herve, où il fait ses humanités au Collège royal Marie-Thérèse, comme son frère aîné Auguste qui deviendra professeur à l'Université de Liège et membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises. Il poursuit des études à l'École normale des humanités, alors annexée à l'Université de Liège. C'est là qu'il rencontre Maurice Wilmotte, récemment appelé à fonder les études de philologie romane. En 1890, Georges Doutrepont obtient le diplôme d'agrégé pour la philologie française avec la plus grande distinction.
Encore étudiant, il consacre ses premières études à la dialectologie en publiant entre autres un texte recueilli dans le pays de Herve intitulé Un chant monorime de la Passion. Dès octobre 1890, il est engagé comme lecteur à l'Université de Halle-sur-Saale, en Allemagne. L'année suivante, c'est à l'Université de Fribourg qu'il est nommé professeur, héritant de la chaire de Joseph Bédier. Deux ans plus tard, en 1894, il est appelé à la chaire de littérature française de l'Université de Louvain, en remplacement de Léon de Monge; il y reste jusqu'à la retraite. Il y fonde, avec le baron François Béthune, la section de philologie romane. Professeur ordinaire, il est en outre chargé du cours de français de l'École supérieure de commerce en 1897 et, à partir de 1921, aux Écoles spéciales de l'Université de Louvain.
Les activités de Georges Doutrepont sont multiples : outre ses enseignements, il organise des causeries, apprend à ses étudiants l'art de la parole et du débat au sein des Conférences de philologie romane et du Cercle de littérature française. Avec Béthune, il fonde un périodique : le Bulletin d'histoire linguistique et littéraire des Pays-Bas. Il obtient de ses confrères historiens de publier des études philologiques dans le Recueil des travaux publiés par les membres des conférences d'histoire et de philologie.
Les cours qu'il fait en Faculté portent sur des matières étendues : littérature française, histoire des littératures romanes, explication d'auteurs, grammaire historique du français. Par la suite, il se charge des cours d'histoire de la littérature française de Belgique et d'esthétique générale dans son application à la littérature.
Ses publications reflètent le même esprit encyclopédique. Doutrepont fait d'abord des travaux de linguistique dialectale, comme par exemple son Tableau et théorie de la conjugaison dans le wallon liégeois. En collaboration avec Jean Haust, il étudie Les parlers du nord et du sud-est de la province de Liège. Sa thèse d'agrégation est consacrée à l'Étude linguistique sur Jacques de Hemricourt et son époque et publiée en 1892 dans les Mémoires de l'Académie royale de Belgique. Le projet est de reconstituer le parler liégeois du XIVe siècle. Avec son frère Auguste, il entreprend la traduction des tomes consacrés à la morphologie et à la syntaxe de la Grammaire des langues romanes de Meyer-Lübke.
Mais c'est dans le domaine de l'histoire que Georges Doutrepont s'investit avec le plus de passion. En 1893 il donne à la Revue générale un article sur Jean Lemaire de Belges et la Renaissance, sujet qui devait faire l'objet en 1933 d'un gros ouvrage du même titre, publié par l'Académie. Son livre capital, La littérature française à la cour des ducs de Bourgogne, est publié en 1909 et couronné du prix Delalande-Guérineau de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Parallèlement à ses recherches sur la littérature bourguignonne, il est intéressé par la jeune littérature de Belgique et consacre en 1919 un essai aux Débuts littéraires d'Émile Verhaeren à Louvain. Ouvrage qui, avec d'autres publications sur le sujet, devait naturellement le conduire à écrire une monumentale Histoire de la littérature française en Belgique, parue en 1939.
La première guerre mondiale trouble les activités scientifiques de Doutrepont. Comme beaucoup d'intellectuels, le savant se réfugie à l'étranger; il fait quelques conférences en Angleterre, puis en France, enseigne à Liverpool, à Oxford, au Collège de France, à l'Université de Dijon. Il se fixe à Paris, où il est, durant près de trois ans, chargé de conférences à l'École pratique des hautes études. La paix retrouvée, il reprend ses cours à Louvain.
C'est le 18 janvier 1921 qu'il est élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises, créée l'année précédente par Jules Destrée. Deux ans auparavant, il a été nommé membre correspondant de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l'Académie royale de Belgique pour en devenir membre titulaire en 1930, puis directeur en 1938. À l'une et l'autre compagnie il apporte le concours de son savoir, de son expérience et de son dévouement. Les vingt dernières années de sa vie sont celles de la consécration et d'une intense activité scientifique. Il publie de 1926 à 1928 deux gros volumes consacrés à l'étude des Types populaires de la littérature française (prix Narcisse Michaut de l'Académie française), édite avec Omer Jodogne les Chroniques de Jean Molinet (1935-1939), et écrit un volumineux mémoire intitulé Les mises en prose des épopées et des romans chevaleresques du XIVe siècle au XVe siècle (1939, prix De Keyn de l'Académie royale de Belgique). En 1942, sa fille Antoinette Doutrepont publie un essai posthume consacré à La littérature et la société.
Docteur honoris causa des Universités de Bordeaux (1929) et de Montpellier (1934), membre correspondant de l'Institut de France (Classe des inscriptions et des belles-lettres), Georges Doutrepont interrompt sa carrière universitaire en 1938. La seconde guerre mondiale l'oblige à se réfugier à Montpellier, d'où il revient souffrant. Il meurt le 26 mai 1941, laissant une uvre abondante et diverse, celle d'un critique, d'un historien, d'un philologue, et surtout d'un humaniste.
– Jean-Pierre Bertrand |