BIOGRAPHIE
Né à Anderlecht le 3 mai 1867, Valère Gille fait des études de droit à l'Université de Louvain. Lié d'amitié à Iwan Gilkin, il fait la connaissance d'Albert Giraud et de Max Waller en 1895. Ses premiers poèmes paraissent deux ans plus tard dans La jeune Belgique. À vingt-trois ans, il en devient le troisième directeur, après Max Waller et Henri Maubel, et le principal animateur aux côtés de Gilkin et de Giraud. Plus jeune et moins hostile au Symbolisme que ses deux amis, il est l'artisan d'un bref rapprochement avec les collaborateurs de La Wallonie en 1890-1891. Jusqu'en 1897, date à laquelle elle disparaît, le groupe des trois G préside aux destinées de la revue et, au-delà de son existence, reste uni par les liens de l'amitié.
Son premier recueil, Le Château des merveilles, qui doit autant à Théodore de Banville qu'aux influences conjuguées de Gilkin et de Giraud, paraît en 1893. Rompant avec l'aspect primesautier de ses premières tentatives poétiques, La Cithare, publié en 1897, est couronné par l'Académie française la même année. Valère Gille y célèbre les dieux et les héros de la Grèce antique, à la manière d'André Chénier et de Leconte de Lisle, exaltant, à travers le mythe devenu inaccessible, l'idéalité à laquelle aspire le poète. La forme utilisée, le sonnet principalement, est à l'image du fond, empreinte d'une mesure classique conventionnelle. Dans les volumes suivants, le ton se fait plus personnel et la facture parnassienne s'affirme. S'éloignant du pessimisme de Baudelaire, auquel Iwan Gilkin s'est montré sensible, il met l'accent, dans Le Collier d'opales (1899), sur des thèmes élégiaques, l'amour, la joie, la mort, dont les développements inclinent, en fin de compte, vers une sagesse tout épicurienne, qui incite à tirer profit de la jouissance de l'instant présent. Les Tombeaux (1900) se rattache à cette veine parnassienne et constitue un hommage appuyé de l'auteur aux illustres aînés, peintres et écrivains, auxquels il entend ainsi payer son tribut. On y retrouve les noms de la plupart des artistes, romantiques, réalistes et décadents qui marquèrent le siècle.
Composés avant la parution de La Cithare, les poèmes confiés au Coffret d'ébène (1901) dépositaire du passé de l'auteur, traduisent des émotions déjà anciennes. Divisé en trois parties, La Rose, Le Glaive, La Lampe, le recueil met en scène les espoirs, la révolte et les songes d'une jeunesse révolue avec laquelle il veut désormais rompre. À côté des références au paradis perdu de l'enfance, on trouve l'évocation d'un univers de cruauté où aux raffinements sadiques de l'amour sont associés les charmes ambigus de l'homosexualité, avec quelques échappées vers un monde légendaire qui rappelle celui du Symbolisme. Chargé d'une lourde rhétorique, le recueil s'attarde sur des images fin-de-siècle qui évoquent la tentation de l'aboulie face à la vanité, sinon l'inanité de la vie. La révolte luciférienne et romantique de la seconde partie s'accompagne de l'amour renaissant, très vite conçu comme une lutte pour se soustraire à l'asservissement de l'âme et du corps. À la fois vierge et bête inassouvie, la femme est le pôle qui aimante toutes les attractions et toutes les répulsions. La résignation finale, une fois accompli le renoncement à l'amour, va de pair avec la valorisation de l'art, moyen rédempteur d'accéder à l'idéal entrevu, jamais atteint.
La Corbeille d'octobre (1902) s'inscrit dans cette tonalité plus paisible. Cité comme le meilleur recueil de Valère Gille, cette élégie où alternent les voix de deux amants, relate la perte et la reconquête du bonheur compromis par une aventure amoureuse du poète. La femme aimée accorde son pardon à l'infidèle, encore hanté par la nostalgie et torturé par le doute. La nuit apporte son apaisement au couple réconcilié dans la perspective d'un amour affermi, où l'amante reconquiert son rôle rassurant de mère protectrice. Jeux de style, Le joli Mai (1905), influencé par les cadences musicales de la poésie populaire, exprime la joie de l'insouciance retrouvée à travers les rythmes naïfs des rondes enfantines et les variations sur des thèmes anciens.
Aux recueils poétiques, l'auteur joint quelques uvres théâtrales, Ce n'était qu'un rêve (1903), une féerie, et Madame reçoit (1908), une comédie de murs. Il est également l'auteur de souvenirs littéraires et anecdotiques sur La Jeune Belgique (1943) où il retrace la petite histoire du célèbre mouvement en faisant la part belle à ses principaux membres. Autre essai, Du Symbolisme (1940) tente une interprétation du mouvement rival à la lumière de l'histoire des antagonismes qui divisèrent les revues de l'époque et en accrédite les origines nordiques.
Menant parallèlement à ses activités d'homme de lettres une carrière à la Bibliothèque royale, dont il sera conservateur, il collabore également à la presse libérale où ses chroniques sont fort appréciées. Il mène campagne, dès 1906, pour la fondation d'une Académie royale de langue et de littérature françaises dont il devient, après son élection le 18 janvier 1921, le directeur en 1925 et en 1946. L'Académie et la littérature (1906) participe de cette ambition et appelle, en s'appuyant sur l'opinion d'académiciens français, à la création d'une institution belge équivalente. Dans le cadre de ses activités officielles, il prononce le discours de réception de Colette (1936), de Charles Plisnier (1938) et de Paul-Henri Spaak (1947). Son goût des relations mondaines lui vaut de nombreuses rencontres. Pendant la première guerre mondiale, revenu à des préoccupations plus dramatiques, il écrit des pamphlets de circonstance contre l'envahisseur et des sonnets patriotiques : La Victoire ailée, qui paraît en 1921.
Admis à la retraite en 1935, il ne quitte la Bibliothèque royale qu'en 1945 pour succéder à Albert Mockel à la tête du Musée Wiertz. Il meurt le 1er juin 1950.
– Marianne Michaux |