BiographieNée à Liège le 14 août 1932, Claudine Gothot-Mersch passe son enfance dans un milieu lettré. Ses premières années sont marquées par l’expérience de l’exode, en 1940 : femmes et enfants effectuent alors un trajet éprouvant et difficile, de Liège jusqu’en Dordogne. Son premier ravissement littéraire intervient à la lecture du Grand Meaulnes, que lui fait découvrir une institutrice improvisée de l’Institut Sainte-Véronique de sa ville natale. Claudine Mersch accomplit ses études secondaires dans la même école, avant d’entamer des études de philologie romane, toujours à Liège. Après avoir obtenu son diplôme (son mémoire de licence portait sur Albert Camus, qui était encore vivant), elle consacre l’année académique 1955-1956 à parfaire sa formation en suivant des cours à Paris, — en Sorbonne, au Collège de France et à l’École pratique des hautes études. Mais l’Université de Liège ne perdait pas de vue cette étudiante exceptionnelle et, dès 1957, celle-ci entame un mandat d’assistante dans le service de Fernand Desonay.
Les premières années de ce mandat sont marquées par un événement d’ordre privé (son mariage avec le juriste Pierre Gothot, en 1958), ainsi que par la mise en chantier d’une thèse de doctorat consacrée à Flaubert, auteur sur lequel elle publie un premier article dès 1957. Claudine Gothot-Mersch a très tôt identifié le domaine où elle pourrait faire la preuve de l’originalité de son regard et de ses analyses : les «avant-textes» flaubertiens. Le romancier avait laissé à sa mort une documentation abondante sur toutes ses œuvres (scénarios, plans, brouillons, premiers jets corrigés, etc.), qui n’avait jamais été prise en compte de façon rigoureuse. C’est un tel examen, visant à reconstituer le parcours menant des scénarios et premières ébauches jusqu’à la version finale, qu’a réalisé Claudine Gothot-Mersch, en se fondant sur les 3 600 feuillets, tous conservés à la Bibliothèque municipale de Rouen, qui concernent Madame Bovary. Sous le titre La Genèse de «Madame Bovary», cette thèse de doctorat a été défendue en 1963 et a été couronnée par trois prix, dont le prix Franz De Wever de l’Académie. Le travail, parut en 1966 sous la couverture des éditions José Corti, connut très vite la notoriété, non seulement dans les cercles flaubertistes, mais aussi plus largement dans l’université. Grâce à Claudine Gothot-Mersch, le temps était venu de reconnaître la critique génétique comme une discipline à part entière et de procéder à des travaux analogues concernant tous les écrivains qui avaient laissé une abondante documentation autographe. À cette fin, le CNRS créa dès 1968 l’ITEM, ou Institut des Textes et Manuscrits Modernes, qui bien sûr compta immédiatement en son sein une «équipe Flaubert», animée par Claudine Gothot-Mersch.
Les «Classiques Garnier» lui demandent en 1971 de réaliser l’édition de Madame Bovary (la renommée de ce travail dépassera les limites de l’espace géographique francophone, puisque l’appareil critique de l’ouvrage sera traduit en italien pour une édition de La Signora Bovary, en 1977); de Flaubert, elle fournira aussi des éditions de Bouvard et Pécuchet (1979), de La Tentation de saint Antoine (1983) et de L’Éducation sentimentale (1985), avant de se voir confier la responsabilité, avec Guy Sagnes, professeur à Toulouse, d’un immense chantier : une nouvelle édition des Œuvres complètes, dans la «Bibliothèque de la Pléiade» (l’édition précédente ne donnait pas à lire les œuvres de jeunesse et ne proposait qu’un appareil critique très maigre). Le premier tome de cette édition, que les deux concepteurs avaient voulue chronologique, parut en 2001 et rassemble tous les textes écrits par Flaubert avant ses 24 ans. Restée seule à la barre après le décès de Guy Sagnes, Claudine Gothot-Mersch a dirigé la préparation des tomes II et III, publiés tous deux en 2013 et qui rassemblent les œuvres composées par l’écrivain entre 1845 et 1862.
Les intérêts de Claudine Gothot-Mersch se sont portés aussi sur d’autres écrivains. Deux sont des contemporains de Flaubert : Théophile Gautier (dont elle édite en 1981 le recueil Émaux et Camées) et Leconte de Lisle (édition des Poèmes barbares, en 1985, et des Poèmes antiques, en 1994). Elle a également consulté le fonds des documents Simenon remis par l’écrivain à l’Université de Liège, en 1976, et a tiré de ces examens plusieurs articles.
Claudine Gothot-Mersch n’a pas ignoré les débats qui ont agité les années 1960-1970 et qui tendaient alors à invalider les approches traditionnelles du fait littéraire. Elle n’a pas craint d’ailleurs de convier partisans et adversaires de la «Nouvelle critique», en 1974, à Cerisy, pour un colloque dont elle assura ensuite la publication des actes, sous le titre La Production du sens chez Flaubert (dans la collection «10/18»). Claudine Gothot-Mersch se montrait informée des théories contemporaines (Greimas, Todorov, Barthes…), mais, à la lumière de ses propres travaux philologiques, séparait dans les doctrines nouvelles ce qui contribuait à un progrès véritable dans la compréhension de la littérature et ce qui correspondait seulement à des acrobaties intellectuelles. Elle percevait, en particulier, les conséquences néfastes des spéculations modernistes qui rejetaient toute prise en compte de l’intention de l’auteur et conduisaient de la sorte à abolir les critères dont on usait dans les entreprises d’éditions des textes littéraires. Ce discernement critique essentiel alliait la théorie et la pratique.
Claudine Gothot-Mersch a fait en Belgique une brillante carrière de professeure. Dès 1968, elle avait été appelée à l’Université Saint-Louis de Bruxelles, pour assurer les cours de théorie de la littérature et de littérature française moderne. Elle fut promue au grade de professeure ordinaire en 1972 et devint professeure émérite en 1997. Élue membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique le 14 septembre 1985, elle est décédée le 19 novembre 2016.
– Michel Brix
Bibliographie critique
- Flaubert et la théorie littéraire. En hommage à Claudine Gothot-Mersch, textes réunis par Tanguy Logé et Marie-France Renard, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2005.
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