Biographie
Née à Bruxelles en 1946, licenciée en Histoire de l’Art et Archéologie, Corinne Hoex a quitté un travail de documentaliste pour la vente d’antiquités au Sablon, a pris des cours de déclamation à l’Académie, retenu des masses de poèmes par cœur, adoré Yourcenar et Colette, Michaux et Calvino, avant de surgir, à cinquante et un an, dans le monde des Lettres avec un livre aussi incisif que bouleversant : Le Grand Menu, publié en 2001 aux éditions de l’Olivier et immédiatement remarqué. D’emblée, Corinne Hoex choisit l’arène familiale comme espace du dedans. Un père collectionneur de brimborions, qui filme sa fille dans son bain et qui lui interdit de lire — lire n’est pas une occupation. Une mère forte, sûre d’elle, femme d’affaires en son magasin. Un couple trop complice. Une vie d’enfant unique, surveillée, piégée. Et l’évasion dans l’infime, dans le rendu impitoyable des détails. Se sauver par le regard.
Dans ses romans suivants, publiés aux Impressions Nouvelles, Corinne Hoex ne renonce pas à sa minutieuse noirceur, sans jamais se départir d’un humour roboratif trop rare de nos jours. Ma robe n’est pas froissée (2008) est un texte finement coupé et ajusté pour dire l’abus de pouvoir : la violence physique de l’amant et celle d’une éducation hypocrite qui n’apprend pas aux filles à dire non. Effacer les traces du massacre. Remettre la vie dans ses plis. Croire encore et toujours que quelqu’un va venir vous aimer.
Dans Décidément je t’assassine, paru en 2010, il s’agit des derniers jours de la mère, luttant sur son lit d’hôpital, puis de sa présence dans les objets dont sa fille hérite, qu’elle range, donne, disperse. Texte implacable, texte d’admiration, aussi. Chaque détail, dans sa radicale objectivité, contribue à l’architecture de l’émotion.
Le Ravissement des femmes, paru en 2012 chez Grasset, met en scène un gourou biblique et une narratrice moins naïve qu’elle ne le laisse paraître, consciente de l’abus de pouvoir dont les femmes sont souvent les victimes consentantes et charmées. Aussi impertinente qu’ironique, Corinne Hoex n’emprunte jamais, s’agissant de la condition de la femme, les chemins du pathos.
Elle a publié par ailleurs, chez différents éditeurs de qualité, des ouvrages qui la distinguent comme poète de haut niveau. Au fil du temps et des épreuves vitales, son laconisme semble croître, proche, dirait-on, de celui des femmes solitaires et solidaires que l’on nommait autrefois les béguines.
T’effacer, te dissoudre
Et cette voix en toi
Cette voix qui grandit
Dans l’impressionnant Cendres, consacré à la mort du père, comme dans L’Autre Côté de l’ombre, de nuit et de silence, ou encore dans le poignant et discret Été de la rainette (pour n’en citer que quelques-uns), son art rend compte, avec économie et pudeur, de sujets éminemment intimes. Parfois elle répète un mot, une moitié de vers, bouge un pan de phrase, comme on pousse peu à peu une pierre, comme on fait peu à peu pénétrer la lumière sous la terre, à petits pas de fourmis, à grande patience vitale. Ses textes, elle les soumet à une réduction alchimique qui nous laisse parfois avec bien peu de chose : quelques pages seulement pour Leçons des ténèbres (2017). Gérald Purnelle a écrit d’elle : «L’écriture de Corinne Hoex réalise le tour de force d’être à la fois minimaliste et sensuelle. Les poèmes sont très courts, verticaux, simples.» Évoquant son extraordinaire économie de moyens autant que son humour, il conclut : «Et l’on obtient le haïku moderne.» Un haïku qui, en plus de faire se rejoindre l’âme et la vie, l’intime et le paysage, s’enrichit d’allusions aux légendes qui ont bercé l’imaginaire occidental. L’historienne de l’art n’est jamais loin, mais surtout la conteuse, dont la mémoire en palimpseste revisite la lutte des femmes en une réinterprétation rigoureuse et fantasque.
Les poèmes de Corinne Hoex sont le plus souvent accompagnés de travaux d’artistes éminents parfaitement accordés à son univers. D’autres ouvrages assez brefs, tels l’inclassable Décollations ou le coquin Valets de nuit (2015), tissent un fil serré de fragments, toujours ciselés. D’autres encore forment une constellation : Contre-Jour, Rouge au bord du fleuve, Celles d’avant, Juin, Jadis vivait ici…
Face au sérieux des adultes, à leurs peurs, à leur morale stupide, leurs punitions d’un autre âge, celle qui a conservé le courage et la vivacité de l’enfance nous dit et nous répète : Pas grave. Pas grave, d’être enfermée dans le placard à chaussures parce qu’on a voulu être choyée comme sa petite sœur trisomique, et que pour cela on a bavé en public comme elle, secoué sa poupée comme une chiffe, retiré les frites à moitié mâchées de sa bouche, renversé son verre de sirop, et louché, bien sûr, le mieux possible. Pas grave de se vouloir comme elle au centre de l’attention familiale, et de répondre à la maîtresse qui vous demande ce que vous ferez plus tard : «Moi je ferai mongolienne!» Versant burlesque, ce texte de fiction, d’un autre, paru dans la revue de l’Association Transpersonnelle Belge, et qui, sous le titre Un chromosome de différence rend hommage à Marco, le cousin mongolien mort à vingt-cinq ans, Marco dont la narratrice nous confie : «J’ai tenu dans la mienne la petite main molle de Marco, comme le trajet le plus simple vers quelque chose qui me disait que moi aussi j’étais palpable et vivante.»
On l’aura compris : si Corinne Hoex n’est jamais meilleure que lorsqu’elle s’adonne avec délectation à la férocité, ses écrits témoignent d’une singulière empathie. En somme, aussi gaie qu’acérée, elle traite tous ses sujets avec le talent d’une fine observatrice qui ne se départit pas un instant de sa lucidité.
– Caroline Lamarche
Bibliographie
E-bibliothèque
Discours de réception (séance publique du 28 octobre 2017)
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