Biographie
Georges Kleiber est né le 6 décembre 1944 à Sélestat. Docteur de 3e Cycle (1974) et docteur d’État (1979) sous la direction de Robert Martin, successivement assistant et professeur aux Universités de Besançon, Metz, et Strasbourg,
il a dirigé à l’Université Marc Bloch, de 1986 à 2007, le prestigieux Institut de linguistique générale devenu ensuite l’équipe LILPA (LInguistique, Langue, PArole), et lancé la revue Scolia.
Georges Kleiber est une figure de proue de la linguistique française. Il a contribué à façonner la discipline par l’originalité de sa pensée tout comme par l’abondance de son œuvre : treize monographies, et quelque quatre cents articles. D’abord médiéviste (auteur d’une thèse de 3e cycle sur Le Mot IRE en ancien français), il s’orientera progressivement vers une sémantique théorique qui entreprend de concilier la tradition française avec la philologie romane allemande et la philosophie du langage anglo-saxonne. Cette nouvelle orientation est marquée par sa thèse d’État, Problèmes de référence : descriptions définies et noms propres, primée par les Universités de Strasbourg et publiée en 1981. Ce livre, qui fit l’effet d’un coup de tonnerre, a donné du grain à moudre à toute une génération de linguistes, en France et à l’étranger. Il n’est certes pas le premier à avoir exploré comment la langue parle du réel — les philosophes ont devancé les linguistes sur cette question — mais il trace une voie originale, en montrant comment les concepts hérités de la philosophie anglo-saxonne peuvent être mis à profit, nécessitent d’être réajustés ou articulés autrement pour permettre une véritable analyse linguistique des mécanismes de la référence.
Ses activités de recherche se déploient dans trois domaines. En sémantique lexicale, il explore les relations lexicales (hyponymie, polysémie…) et transferts lexicaux (métaphore, métonymie…), les proverbes, les dénominations des couleurs et des odeurs. Mérite une mention spéciale son livre magistral Sémantique du prototype, traduit en plusieurs langues, qui fait le bilan d’une nouvelle approche de la catégorisation lexicale, développée sous l’impulsion des ethnologues et psychologues : la catégorisation y est conçue comme établie non pas sur la base d’une liste de propriétés abstraites, mais à partir d’une comparaison avec un prototype (le prototype pour oiseau, par exemple, étant le moineau, plutôt que la poule, le pingouin ou l’autruche). Un second terrain de prédilection est la sémantique référentielle : qu’il s’agisse des pronoms je, tu, il(s), ça, de l’article défini, des démonstratifs — en français médiéval comme en français moderne —, des possessifs, des noms propres, des noms massifs ou «massifiés», il reconstruit leur mécanisme de construction référentielle avec nuance et précision. Ses études ne se cantonnent pas aux expressions nominales, mais prennent aussi pour objet le fonctionnement référentiel des propositions relatives et des temps verbaux. Un troisième champ d’étude concerne la cohésion textuelle. Comment s’établissent les rapports entre différentes mentions successives d’un référent selon les mécanismes de l’anaphore et de la cataphore? Comment concevoir l’anaphore dans le cas d’un
référent qui évolue au fil du texte, au point de perdre son identité? Peut-on parler aussi d’anaphore pour les relations entre événements qu’établissent les temps verbaux? Tout en consacrant sa recherche à la langue française, Georges Kleiber fréquente de temps en temps sa langue maternelle, l’alsacien.
À travers ses écrits portant sur des sujets variés, on identifie sans hésitation l’image de marque de l’auteur par plusieurs traits : d’abord, une connaissance quasi exhaustive des travaux sur son objet d’étude et une capacité à faire dialoguer différents points de vue, à les soumettre au crible de son regard critique, en faisant ainsi avancer l’argumentation vers une hypothèse nouvelle qui est la sienne; en second lieu, une intuition linguistique sans faille qui lui permet d’appréhender et d’analyser le sens dans toutes ses subtilités ; et enfin, une plume agile, qui agrémente son discours scientifique par des touches d’humour.
Sa brillante carrière a été récompensée par de nombreuses distinctions honorifiques : médaille d’argent du CNRS (1998), prix Joseph Houziaux décerné par l’Académie royale des sciences, des lettres et des Beaux-Arts de Belgique (1997), prix Germaine et André Lequeux de l’Institut de France attribué par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Paris, 2012), titre de Commandeur dans l’Ordre des Palmes académiques (2013), membre d’honneur de la Società Universitaria per gli Studi di Lingua e Letteratura Francese (Italie), et quatre doctorats honoris causa des Universités d’Uppsala (Suède), Aarhus (Danemark), Constanta (Roumanie) et Chisinau (Moldavie).
La personnalité chaleureuse de Georges Kleiber, sa verve intarissable lui ont acquis une aura particulière. Chez ce savant, le sérieux n’étouffe jamais la joie de la recherche, qu’il transmet à travers ses écrits toujours stimulants. Plusieurs de ses intitulés, volontiers ludiques, en témoignent : quand le tout est de la partie, mettre le cap sur les topiques, un imparfait de plus… et le train déraillait, l’énigme du Vintimille ou les déterminants à quai, les sens uniques conduisent-ils à des impasses?, une métaphore qui ronronne n’est pas toujours un chat heureux, l’article défini gastronomique ou l’art d’en faire tout un plat, etc. Les Rencontres linguistiques en pays rhénan qu’il a organisées pendant des années dans la coopérative vinicole de Pfaffenheim — le pittoresque village du Haut-Rhin où il interprétait à ses moments perdus des pièces de théâtre dialectal, jouait au football et servait de sapeur volontaire — en créant par son harmonica, après le travail, une ambiance festive, restent légendaires dans le petit monde des francistes.
Georges Kleiber a été élu au siège de Gérald Antoine, au titre de membre étranger philologue, le 14 mars 2015.
– Anne Carlier
Bibliographie
E-bibliothèque
Discours de réception (séance publique du 8 octobre 2016)
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