Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique
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Kristoffer Nyrop

Kristoffer Nyrop / Photo © ARLLFB Membre étranger philologue du 20 mai 1922 au 13 avril 1931.
Successeur : Emmanuel Walberg
Fauteuil 35
BIOGRAPHIE

Kristoffer Nyrop (on prononce Nurop) est né à Copenhague, le 11 janvier 1858. Pour ses parents, il ne fait pas de doute qu'une brillante carrière l'attend dans l'Église, tant ses dispositions pour l'étude sont vives. Hélas! la théologie n'intéresse pas l'adolescent. Il veut étudier la littérature française moderne. On imagine mal l'étonnement qu'a pu susciter, vers 1870, une telle vocation dans un milieu profondément luthérien. Faire de l'étude du français l'occupation d'une vie, que serait-ce sinon passer les journées à lire des romans? Ce projet n'était pas sérieux. Au Danemark comme ailleurs, la culture française jouissait d'un grand prestige, mais l'immoralité des œuvres littéraires scandalisait les âmes pieuses. Paris, c'était Babylone! Sur les bords de la Seine, cela était bien connu, les vertus les plus solides s'effondraient comme des châteaux de cartes…

De part et d'autre, on s'obstine. La famille finit par céder et, à l'âge de dix-sept ans, le jeune Kristoffer entre au Westens Institut. Après deux années d'apprentissage, il débarque dans la capitale française et y suit les cours de Gaston Paris et de Paul Meyer. L'Université, elle-même, n'était pas moderniste et n'offrait guère autre chose qu'une spécialisation dans le domaine médiéval. L'un des premiers travaux de Nyrop est une étude sur le participe passé. En 1880, il édite avec Émile Picot un recueil de farces françaises des XVe et XVIe siècles. Deux ans plus tard, il obtient la médaille de l'Université de Copenhague avec un pondéreux ouvrage sur l'histoire de l'épopée médiévale française (Den oldfranske Heltedigtning) publié en 1883.

Après un séjour prolongé en Suisse, en France et en Italie, il publie Romanske Mosaiker. Kulturbilleder fra Rumœnien og Provence.

Nyrop conquiert le grade de docteur en 1886 avec une thèse intitulée Adjektivernes Konsbojning i de romanske Sprog. Il y aborde un domaine dans lequel il va devenir un spécialiste : la phonétique historique. Les portes de l'université s'ouvrent à lui grâce à son maître Vilhelm Thomsen. Il est chargé de conférences et, en 1894, il succède à Thor Sundby comme professeur de langue et de littérature françaises. Non content de révéler à ses étudiants des perspectives scientifiques nouvelles, il a préparé à leur intention une série de manuels : Lœrebog i det spanske Sprog, Kortfattet spansk Grammatik (1889), Kortfattet fransk Lydlœre (1893), Lœrebog i det italienske Sprog (1896), Kortfattet italiensk Grammatik (1897). Tous ces ouvrages ont connu de nombreuses rééditions. Les curiosités de Nyrop vont plus loin : il est très au fait du roumain et du provençal. Animé par le sens pratique, il publie aussi une série d'anthologies : Lectures françaises (1890-1891), La Espana moderna (1892), Prose e pœsie italiane (1898) et trois Recueils de textes français (1895-1909) destinés à l'enseignement supérieur.

Parallèlement, Nyrop cultive un amour profond pour son pays et le monde nordique. En témoignent d'innombrables articles consacrés à des questions de folklore, d'histoire culturelle, d'étymologie. Ces études ont été groupées en sept volumes intitulés Fortids Saga og Sange (1907-1909 et 1933). Le reste est éparpillé dans des périodiques, et principalement dans la revue Dania.

Le nom de Nyrop reste attaché à l'impressionnante Grammaire historique du français qui, avec ses six volumes parus entre 1899 et 1930, examine successivement la phonétique, la morphologie, la formation des mots, la sémantique, la syntaxe des noms, des pronoms, des particules et des verbes. Des générations de chercheurs ont consulté l'ouvrage. On le consultera encore longtemps. Tout y est précis, bien expliqué, solide. N'étaient-ce quelques lignes glissées dans l'avant-propos des tomes 3 et 6, on ne devinerait rien des circonstances pénibles dans lesquelles l'œuvre a été conçue. Tôt paralysé du bras droit, complètement aveugle à partir de 1905, Nyrop a dû tout dicter. Un secrétariat, formé d'étudiants, de collègues et d'amis, effectue certaines recherches ou certaines vérifications, et corrige les épreuves. L'immense mémoire de Nyrop fait le reste.

Moins connus en terre francophone sont les quatre volumes consacrés à la vie des mots (Ordenes Liv), entre 1901 et 1931. Nyrop y étudie l'euphémisme, les métaphores, les expressions allégoriques, les étymologies populaires, les jeux de mots. Il y fait la part belle à sa langue maternelle et à l'allemand, mais l'étude porte sur la plupart des langues européennes.

Le savant, composant avec le malheur autant que faire se peut, aurait pu vivre détaché du monde, enfermé dans sa bibliothèque. Il a ignoré cette tentation. Le grand conflit de 1914 blesse douloureusement le linguiste à qui presque toute l'Europe occidentale est familière. Sans hésiter, il entreprend de défendre par la plume les victimes de l'Allemagne. Dans Frankrig (1915), il célèbre l'action civilisatrice de la France. La résistance héroïque de la Belgique est glorifiée dans une foule de brochures et d'articles vite traduits dans les principales langues du continent. Quatre années durant, il dénonce l'horreur de la guerre (Er Krig Kultur?) et dévoile la vraie nature des ambitions germaniques. Cela n'allait pas de soi dans un pays qui, pour être neutre, n'en était pas moins très proche de l'Allemagne par son histoire, sa culture et son économie.

Kristoffer Nyrop est mort à Copenhague, le 13 avril 1931. L'Académie l'avait élu au titre de membre étranger le 20 mai 1922.

Le philologue a sa place parmi les plus grands. L'homme avait de belles qualités : la loyauté, la courtoisie, le courage et un humour bienveillant.

– Jacques Detemmerman



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