BiographieNé le 20 février 1910 à Genève, Jean Rousset fut assistant puis professeur (1953-1976) à l'Université de la ville, après avoir été lecteur dans différentes universités allemandes. Fidèle à la ville frontalière de Genève, il le sera aussi à ses maîtres, en premier lieu Marcel Raymond. L'Académie a consacré cette filiation, où le respect puis l'amitié ont conspiré, en élisant le 9 octobre 1982 Rousset à la succession de son maître. Rousset a clairement défini l'approche de la littérature telle qu'il l'a reçue de Raymond et telle qu'il la fera sienne. Parce que cette lecture se refuse à considérer les uvres littéraires comme des objets, elle tient pour inadéquates les méthodes de la science historique par le fait même que celles-ci ont pour souci premier l'objectivité. La lecture critique est un acte.
Si Rousset a pu paraître l'un des principaux représentants de la nouvelle critique, c'est en ailier qu'il a participé à ce renouveau des théories littéraires. Sa démarche, qu'il reprendra à plusieurs reprises pour l'infléchir et la préciser comme une «attaque latérale et saisie partielle d'un ensemble cohérent» (Passages), se confond aussi avec sa position à la frontière des courants théoriques. Rousset, reprend certains concepts énoncés par Jakobson ou Genette, à l'occasion de ses analyses sur le narrataire et l'énonciation narrative dans Narcisse romancier (1973) où il étudie des romans écrits à la première personne, avec l'audace de confondre Gide dans la relation inhérente qu'il faisait entre le «je» et l'introspection; cependant, il prétend agir moins en poéticien ou en sémiologue qu'en critique. De la même manière, Forme et signification (1962), son livre qui peut apparaître comme le plus structuraliste, bien qu'il respecte les repères chronologiques de l'histoire littéraire, doit son concept fondateur moins à l'une ou l'autre théorie formaliste moderne qu'aux écrits de Wölfflin et d'Henri Focillon. Cette position ambiguë, Rousset la répétera et l'assumera comme celle, par excellence, du critique.
Avec le même esprit de distanciation, où se joue le retour critique sur ses écrits antérieurs, Rousset n'a pas hésité à remettre en question, dans L'Intérieur et l'Extérieur (1968) la notion de baroque qu'il a été parmi les premiers à mettre en évidence. Raymond avait salué l'élève qui devançait le professeur comme «maître-pilote en Baroquie» et Queneau, qui dirigeait pour la Pléiade l'Histoire des littératures, lui confiera le chapitre sur le baroque des Littératures occidentales (1956). En 1953, paraît sa thèse : La littérature de l'âge baroque en France, qui a été traduite en italien (1985). Ce livre donnait d'un seul coup une nouvelle dimension au XVIIe siècle après le livre d'Eugenio d'Ors, Lo Barroco, et fait éclater le schéma canonique que Lanson avait formalisé en faisant du classicisme français le temps du génie et du sublime et en occultant le difforme baroque. Il ne s'agissait pas de substituer «baroque» à «pré-classicisme», mais il fallait dégluer les uvres des anathèmes taxinomiques qui en faisaient une dégénérescence hypertrophiée de la Renaissance, une monstruosité qu'avait balayée Boileau ou encore la préfiguration exubérante du romantisme. Rousset allait définir une sensibilité baroque. Rousset poursuivra ce jeu des influences notamment dans Passages.
Le désenfouissement des poètes baroques des XVIe et XVIIe siècles, Rousset l'avait entrepris dès 1947 en publiant de petites anthologies de Jean de La Ceppède, d'Andreas Gryphius puis, deux ans plus tard, d'Angelus Silésius chez Guy Levis-Mano. Il poursuivra ce décloisonnement en proposant une Anthologie de la poésie baroque française en deux volumes (1968) où les écrivains français sont apparentés avec des auteurs d'autres nationalités pour constituer «un ensemble organique» contribuant à définir «une expérience et une imagination», dépliées en thèmes et en motifs.
Les livres de Rousset ont suscité des critiques. Elles furent parfois fortes. Il est vrai aussi que la scission épistémologique entre la méthode et l'objet est souvent refusée en toute conscience à l'instar de la «conclusion évasive» ou du «dénouement ouvert» qui ferme l'analyse des genres de l'entretien dans Passages «à la manière des conversations» dont Rousset a voulu rendre compte. Le critique assuma sans leurre cette caractéristique de sa démarche. Parce qu'il est devenu un classique, Le mythe de Don Juan (1978) aura eu aussi ses censeurs. Ce livre couronnait une réflexion que Rousset avait entamée dans L'Intérieur et l'Extérieur où la figure du libertin opérait la médiation entre le baroque et le romantisme. L'auteur y réalise une gageure : faire d'une légende moderne un mythe, en répertorier les invariants, sans perdre de vue que la présence sacrale du Mort, le Commandeur, s'ente sur des légendes qui sont, elles, bien plus anciennes que la figure du séducteur. Il va en restituer les combinaisons «en superposant les versions comme si elles étaient synchroniques» et il s'intéressera moins aux métamorphoses historiques qu'à l'évolution interne des genres et des formes qui ont pris en charge le mythe. Ce faisant, il s'attirera la critique de Raymond Trousson. Tout en célébrant la pertinence novatrice de l'analyse «latérale» que réalise Rousset, Trousson a marqué 1a rupture entre l'histoire littéraire que Rousset convoque comme par résignation, et l'analyse sémiologique du mythe (Thèmes et mythes, 1981). Rousset ne cesse de plaider car sa prose a aussi les inflexions de la rhétorique et de la logique du légiste pour l'autonomie des uvres et d'y débusquer les prémisses de leur propre exégèse, sans oublier de le faire avec un bonheur qui est donné en partage.
Jean Rousset est mort le 15 septembre 2002. – Éric Van der Schueren et Sophie Basch
E-bibliothèque
Communications
|