BiographiePaul Spaak naît à Ixelles le 5 juillet 1876, dans une famille de la bonne bourgeoisie bruxelloise; son père, Charles, médecin, adhère au credo scientifique du temps. Après de bonnes études secondaires, Paul fait son droit à l'Université libre de Bruxelles. Il est docteur en droit en 1894; l'année même où il achève ses études, il publie dans la Revue universitaire son premier essai : L'hérédité dans la littérature française antérieure au XIXe siècle. Admis au stage le 3 novembre 1894, il est inscrit au tableau de l'Ordre le 12 juin 1899. Brillant orateur, il conquiert d'emblée l'estime admirative de ses collègues. Collaborateur de l'hebdomadaire Le Ralliement, il entend faire à la fois du droit et de la littérature : cette double activité le retiendra pendant une vingtaine d'années, avant que d'autres soucis le requièrent.
Dès 1897, il est sollicité par l'Université nouvelle, née d'un schisme dans l'enseignement de l'Université libre. Jusqu'en 1902, il dispensera son enseignement dans un cours d'histoire de la littérature française, qu'il continuera jusqu'en 1922 à l'Institut des hautes études. Le 4 novembre 1899, invité à prendre la parole à la séance d'ouverture du jeune Barreau, il évoque L'injustice et le barreau, dont le texte paraît en brochure l'année même. On y trouve, exprimées avec force, ses préoccupations sociologiques. Avec l'appui d'Edmond Picard, qu'il appelait mon oncle le jurisconsulte, il est enrôlé dans la jeune équipe qui collabore régulièrement au Journal des tribunaux : Duvivier, Hennebicq, Paul-Émile Janson et Henri Jaspar. II n'y est point, comme le dira son successeur à l'Académie, Charles Plisnier, un robin, mais un connaisseur des arts et des lettres. Dès lors, sa voie est définitivement ouverte. Plaideur, il sera aussi écrivain et professeur; le 12 mars 1920, il devient titulaire de la chaire de littérature française à la Faculté des sciences politiques et administratives de l'Université coloniale d'Anvers.
Que de chemin parcouru depuis le discours du Jeune Barreau! Le 22 juillet 1894, il épouse Marie, fille du grand orateur Paul Janson; son voyage de noces le conduit en Italie. Inoubliable découverte qui le conduira à écrire un jour : «Moi, j'ai mal de songer que la même lumière / Caresse en ce moment la campagne de Rome.»
Le poème dont ces deux vers constituent la chute est composé pour Émile Verhaeren, qui a de l'estime ou de l'amitié pour lui. De son côté, le cadet ne manquera aucune occasion de rendre hommage au grand Barbare.
En 1904 et en 1905, le Journal des tribunaux organise deux cycles de conférences auxquelles il invite le jeune avocat. La première a pour sujet La Belgique et l'art, la seconde, La Belgique communale : on retrouve dans ces deux textes l'amateur d'idées, le fervent de l'histoire.
Discret, voire secret, Paul Spaak compose ses premiers poèmes dans la solitude de son cabinet de travail. Il publie en 1907 les Voyages vers mon pays qui sont le témoignage des impressions qu'il connut dans ces hauts lieux de pensée que sont Londres, Bayreuth, Grignan. Il y dit aussi son aspiration à revoir la lumière du Midi, l'Italie, la Méditerranée : «Moi je pense à tous ceux qui prirent autrefois / Le chemin qui descend vers la plaine lombarde!»
Nombre de poèmes célèbrent les villes italiennes où il s'est attardé; il les montre peuplées de personnages qui ont laissé leurs noms dans l'histoire : Bragadin, les Capulet, Lucrèce Borgia. La péninsule est aussi à l'origine première de ses drames. Kaatje (1909) retrace l'itinéraire d'un peintre hollandais qui va chercher auprès des maîtres de la Renaissance le secret d'un art accompli. Quatre de ses pièces auront pour cadre les paysages ou les villes dont il a gardé le souvenir. Trois semaines avant Kaatje, le Théâtre du Parc représente La Madonne, où la piété et l'amour sacrilège se disputent la soumission à Fra Benedetto. La Dixième journée s'inspire du Décaméron, Camille est une délicieuse pochade. Le Louez-Dieu est une charmante pièce dont l'action se noue autour d'un quiproquo. À Damme en Flandre, où l'on retrouve en filigrane l'intérêt de Spaak pour l'histoire, se déroule à la fin du XVe siècle et s'articule autour de deux axes : l'ensablement du port de Bruges et le triomphe de la jeunesse sur la décrépitude. Nouveau recours à l'histoire : Malgré ceux qui tombent, qui se déroule en Brabant, à l'époque de l'Inquisition espagnole, a pour thème essentiel l'éloge de la liberté de pensée : cette uvre d'un rythme soutenu (toutes les pièces de Spaak sont écrites en vers et, dans son journal inédit, l'écrivain explique les raisons de son option) est, sans aucun doute, celle où l'auteur a exprimé sa pensée la plus profonde. C'est un hymne à l'intelligence qui s'oppose à la force. Enfin, Diadesté est une fantaisie, que l'on a qualifiée de banvillesque; elle fut peut-être composée pour étoffer un spectacle qui comptait une pièce de son fils Charles : On se répond de loin.
À la mort de Kufferath, Paul Spaak assume, avec Corneil de Thoran et Van Glabbeke, la direction du Théâtre de la Monnaie. Il traduit une quinzaine d'opéras en français et il en adapte quatre autres dont la célèbre Turandot, que Puccini n'avait pas eu la joie de terminer. Il la fait représenter à Bruxelles huit mois à peine après la création à Milan par Toscanini.
La mort foudroie Paul Spaak sur le seuil de sa demeure le 8 mai 1936. Lorsque l'Académie avait été fondée, il avait été un des membres désignés par le roi. – Robert Van Nuffel
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