BiographieRobert-Léon Wagner naît à Paris, au pied de la butte Montmartre, le 12 mai 1905. Il mène des études secondaires pour le moins mouvementées. Ses parents l'inscrivent tout d'abord au Lycée Pasteur, à Paris. Le jeune garçon se montre tellement indiscipliné qu'il se fait rapidement renvoyer. Il devient alors élève au Collège Sainte-Croix de Neuilly, où, loin de s'assagir, il fait preuve d'une insubordination tenace qui se solde par un nouveau renvoi. En désespoir de cause, ses parents l'inscrivent comme interne dans un collège de jésuites du Mans. Alors qu'on ne l'espérait plus, ses nouveaux éducateurs emploient la bonne manière avec le jeune rebelle et parviennent à l'apprivoiser.
Il entame ses études de lettres et obtient le titre d'agrégé en 1931. Cette même année, il fait ses débuts dans la vie professionnelle. Tout en travaillant, Robert-Léon Wagner poursuit ses recherches en linguistique et obtient le titre de docteur en présentant sa célèbre étude sur Les phrases hypothétiques commençant par si dans la langue française, des origines à la fin du XVIe siècle, publiée chez Droz en 1939.
C'est en 1934 que Robert-Léon Wagner quitte l'enseignement secondaire pour l'université. Il est appelé à assumer la suppléance de René Bray à la Faculté des lettres de Caen, au titre de maître de conférences. En 1946, Charles Bruneau, qui avait été son directeur de thèse, lui fait obtenir un poste à la Sorbonne. En 1949, Albert Dauzat prend sa retraite et Robert-Léon Wagner lui succède à l'École pratique des hautes études, où il donnera un cycle de conférences consacrées aux aspects du français moderne. À l'étranger, il dispensera pendant plusieurs années, un cours au Department of French Studies à l'Université de Manchester.
Dans sa magistrale Introduction à la linguistique française, publiée en 1947 et complétée en 1955 par le Supplément bibliographique à l'Introduction à la linguistique française, Robert-Léon Wagner laisse pressentir les préoccupations qui le guideront pendant toute sa carrière de linguiste. Il y fait le bilan des résultats de la linguistique traditionnelle et les confronte aux tâches de la linguistique à venir. Il s'implique particulièrement dans le devenir des études françaises dans l'enseignement, qu'il connaît bien. Le rôle d'une grande langue de civilisation, écrira-t-il, est de rendre témoignage en prêtant une forme de durée aux sentiments et aux aventures spirituelles de toute une époque. Ce fut le cas du latin et du grec, c'est aussi celui du français, il en est intimement convaincu. Ainsi, il milite pour l'affirmation d'une culture entièrement française, à vertu civilisatrice. Mais, il en est conscient, la formation des jeunes en culture moderne n'est pas à la hauteur de son ambition et ne parvient pas à égaler celle des professeurs de langue ancienne. Aussi met-il l'accent sur l'importance des certificats de grammaire et de philologie, qui doivent fournir les bases d'une formation autonome. Tous ces principes se retrouvent dans ses Textes d'étude, ancien et moyen français (1949) et surtout dans les volumes critiques et fins qu'il a publiés sur Les vocabulaires français (1967-1970) et sur La grammaire française (1968-1973). Il faut encore mentionner les vues originales et profondes publiées sous le titre L'ancien français. Points de vue, programmes (1974) et de nombreux comptes rendus (surtout dans le Bulletin de la société de linguistique de Paris) ouverts aux nouveautés, mais sans dédain pour les méthodes éprouvées.
La rencontre avec Gustave Guillaume sera capitale dans la formation intellectuelle de Robert-Léon Wagner. Il appartient en effet à la première génération de disciples de l'auteur de Temps et verbe et sera le maître de célèbres guillaumiens comme Gérard Moignet, Stéfanini ou Bernard Pottier. S'il ne peut être considéré comme un guillaumien de pure souche, Robert-Léon Wagner s'efforcera cependant de faire connaître cet homme dont les théories l'avaient fasciné et de qui, paradoxalement, il fut amené à être le supérieur à l'École pratique des hautes études.
Dans la Grammaire du français classique et moderne, qu'il écrit en collaboration avec Jacqueline Pinchon (1962), il s'efforcera d'intégrer des éléments de guillaumisme à la tradition scolaire, de faire pénétrer la linguistique dans le sanctuaire normatif de la grammaire. Il s'appliquera encore à répertorier les structures du français pendant trois siècles de son histoire.
Dans ses chroniques du Mercure de France, il abordera tous les problèmes qui touchent à la langue et, notamment, ceux de l'écriture. Convaincu de la réalité du style, don, cruel d'ailleurs, partagé entre des gens si divers que leur variété finit même par être trompeuse, il s'oppose catégoriquement à la notion de stylistique. Le style relève du particulier et ne peut être érigé en objet de science. Le terme même de stylistique est inutile, ambigu et ne désigne qu'une fantaisie qu'il juge inacceptable.
Pour être linguiste, Robert-Léon Wagner, on l'aura compris, n'en était pas moins amateur de littérature et l'on possède de lui de nombreuses pages où s'exprime le talent du critique littéraire.
Ainsi, le 9 mai 1979, il donnera à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, où il avait été élu le 2 juin 1962 au siège de Mario Roques, qu'il considérait comme un maître, une admirable communication sur Les modèles grecs dans l'uvre de Giono. Écrit dans une langue claire alliant analyse et poésie, ce texte de Wagner donne envie de (re)lire Giono, «cet être lucide (...) participant aux fêtes que les Immortels célèbrent encore, par certaines nuits divinement claires, au gré de leurs désirs, entre l'Olympe et les Hauts de Collioure».
Dans toutes ses publications, Robert-Léon Wagner apparaît comme un amoureux passionné de la langue, doué de curiosité intellectuelle et d'humanisme. Il meurt le 26 février 1982. – Valérie André
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