BiographieQuand l'Académie royale de langue et de littérature françaises voit le jour en 1920, Maurice Wilmotte est désigné par le roi comme premier membre de la section de philologie. Il a cinquante-neuf ans, et il a été élu à la Classe des lettres de l'Académie royale de Belgique en 1897.
Singulièrement longues, sa carrière de critique et de savant (son premier article date de 1881, un petit livre consacré à Froissart est publié à la veille de sa mort survenue le 9 juin 1942) et sa carrière de professeur (qui s'étend sur quarante-six années) ont été aussi singulièrement pleines et diverses. On en trouvera témoignage non seulement dans le volume de ses Mémoires posthumes, quelque peu complaisants, mais surtout dans les notices attentives que lui ont consacré après sa mort ses anciens élèves, devenus ses collègues et ses confrères.
Né à Liège le 11 juillet 1861, fils unique et, selon ses dires, de santé délicate, il fait l'objet de tous les soins d'une mère intelligente et attentive. Elle est sa première institutrice et lui apprend à lire dans un volume de la Correspondance de Voltaire. Ses parents favorisent d'ailleurs son goût pour la lecture et son intérêt pour le théâtre. Tout au long de ses études, il se tient plutôt à l'écart de ses condisciples et donne le meilleur de son temps à l'apprentissage des langues et à la découverte des littératures. Il ne gardera qu'un pâle souvenir de ses maîtres du collège et de l'université, à l'exception de Godefroid Kurth et surtout de Jean Stecher, qui lui révèle l'uvre de Sainte-Beuve. Lauréat d'une bourse de voyage, il va à Paris suivre les cours d'Arsène Darmesteter, de Paul Meyer et de Gaston Paris. Il découvre ainsi les fondements et les méthodes de la discipline encore jeune qu'est la philologie romane. Il poursuit ses découvertes au cours de trois semestres passés en Allemagne, où il reçoit les enseignements de Wendelin Frster, d'Alfred Tobler et de Hermann Suchier. Il ramène de ce séjour un rapport sur L'enseignement de la philologie romane à Paris et en Allemagne (1883-1885) qui prépare l'avenir de cette discipline en Belgique.
De retour à Liège, il se voit confier en 1885 tout l'enseignement du français à l'École normale des humanités, annexée à l'Université de Liège et qui devait être incorporée à la Faculté de philosophie et lettres en 1890.
Sur le conseil de Gaston Paris, Maurice Wilmotte s'oriente d'abord vers l'étude des patois romans de Belgique; il donne à la Romania trois essais de dialectologie wallonne. Par la suite, il s'attache à décrire la langue d'uvres et de manuscrits originaires de nos provinces; il ne manquera jamais de commenter les travaux et les projets issus de l'école liégeoise de dialectologie. Cet intérêt pour le parler de son terroir le conduit à se pencher sur le folklore et la chanson populaire, dont il perçoit les attaches médiévales. La part majeure de son uvre est consacrée en effet au Moyen Âge français. Il rend compte régulièrement des éditions savantes, publie en 1929 des réflexions sur la critique des textes et édite le Guillaume d'Angleterre de Chrétien de Troyes. On lui doit aussi quelques pages fécondes sur Les origines du drame liturgique.
Mais il se consacre surtout à décrire la genèse et le développement de nos deux grands genres narratifs, la chanson de geste et le roman. La première lui inspire deux livres, Le Français a la tête épique (1917) et L'épopée française. Origine et élaboration (1938), où il remet en question la théorie célèbre de Joseph Bédier sur les légendes épiques. Selon lui, nos poètes épiques sont d'abord des clercs qui se sont mis à l'école de l'Antiquité : la tradition ne fut jamais rompue qui va de l'Énéide à La Chanson de Roland.
C'est encore la clergie des auteurs, la transmission du sentiment romanesque de l'Antiquité à la renaissance du XIIe siècle, puis, à partir de ce moment, l'influence décisive d'Ovide qui se trouvent soulignées dans L'évolution du roman en France aux environs de 1150 (1903) et dans Les origines du roman en France (1941). Fondés sur une vaste érudition, pleins d'assurance et de verve, ces exposés nous apparaissent aujourd'hui trop systématiques, comme la plupart des théories que vit naître cette époque fervente de la critique. Mais la chronologie des premiers romans que Maurice Wilmotte a tirée avec sûreté de la confrontation des textes fixe encore aujourd'hui un cadre qui n'a pas été substantiellement modifié.
Il cherche à définir à travers une série d'études la part qui revient à Chrétien de Troyes dans la masse des grandes compilations du Graal, allant jusqu'à publier une traduction du Parzival de Wolfram von Eschenbach. Il consacre aussi de très nombreuses études à la littérature et à la civilisation françaises, des essais sur l'exotisme dans la littérature française, sur le néo-hellénisme dans la poésie française pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Il illustre aussi les uvres de ses compatriotes, Lemonnier, Pirmez, Verhaeren, Eekhoud, De Coster. Il tire de ses essais et de ses leçons à la Sorbonne un volume d'études critiques sur la tradition littéraire et un autre dédié à la culture française en Belgique.
Pour illustrer la culture française, mais aussi pour plaider la cause de l'humanisme et, pendant la première guerre, pour appeler à la rescousse de la Belgique envahie, il fait de très nombreuses conférences chez nous et dans toute l'Europe. Il convoque à Liège, puis à Arlon et à Gand de grandes réunions internationales, d'où sort l'Association pour la culture et l'extension de la langue française.
Libéral progressiste, il fait paraître en 1902 un essai sur La Belgique morale et politique. On n'oublie pas enfin une activité éditoriale importante. Il a vingt ans quand il fonde, avec des amis chartistes français, la revue Le Moyen Âge aujourd'hui plus que centenaire , où se réalisera la synthèse de la philologie et de l'histoire. Il dirige pour la Renaissance du Livre la série «Cent chefs-d'uvre étrangers»; il fonde et maintient pendant vingt ans la Revue franco-belge.
– Madeleine Tyssens
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