BIOGRAPHIE
Née à Ixelles le 5 février 1930, Liliane Wouters a grandi chez ses grands-parents, dont sa grand-mère, Clémence, qui compta beaucoup pour elle, sa mère et les plus jeunes de ses tantes. Quant au grand-père, il était notamment sonneur de carillon. La famille, d’un milieu modeste et catholique, parlait à la maison le patois flamand de la West-Flandre, la famille maternelle étant originaire de Furnes, bien qu’à l’école la petite Liliane pratiquât le français. Elle entra, à l’âge de 14 ans, à l’école normale de Gijzegem, près d’Alost, pour y mener des études d’institutrice primaire. Elle obtiendra son diplôme à 19 ans et sera institutrice durant trente ans à l’école primaire de Boendael.
En 1954 paraît son premier livre, La Marche forcée, avec une préface de Roger Bodart qui l’avait encouragée et conseillée durant deux ans. C’est ainsi que, très jeune encore, à vingt-six ans, elle obtint pour ce premier livre le prix de la Nuit de la poésie décerné à Paris par un jury où figuraient Aragon, Audiberti, Cocteau, Reverdy et l’éditeur Pierre Seghers. Mais Wouters attendra ensuite six ans avant de publier Le Bois sec (1960) puis, six ans encore, pour Le Gel (1966).
Après Le Gel suivront dix-sept années sans publication bien qu’elle continuât d’écrire des poèmes. Ils formeront, dans L’Aloès (1983), l’ensemble intitulé État provisoire. Ces poèmes constitueront une transition qui la mènera, en 1985, à cette révélation illuminée qui constitue le Journal du scribe où il apparaîtra que, pour elle, la quête du Je (poétique) n’est jamais qu’une épure, un mouvement, un chemin resté ouvert.
Parus en l’an 2000, année où Wouters reçoit la Bourse Goncourt de la poésie, Le Billet de Pascal et Les Sept Portiques du chemin de Pâques, poursuivent la quête amorcée quinze ans auparavant par le Journal du scribe. Les suivit en 2001 une anthologie thématique de son œuvre sous le titre Changer d’écorce. Puis ce sera, en 2009, Le Livre du soufi et, en 2014, son livre ultime, Derniers feux sur terre (couronné à Paris par le prix Apollinaire).
La poésie fut pour Wouters au centre de sa création : «Pour moi, confie-t-elle à Yves Namur dans un entretien peu avant sa mort, la poésie, c’est ce qui reste de plus fort quand la prière a disparu (…); elle a toujours représenté mon souci majeur, ma forme d’élection, le premier but de mon écriture (…).»
Par sa poésie, Wouters surplombe le temps, la tonalité de ses poèmes est souvent prophétique, voire testamentaire. Sa voix aux amples résonances est cependant intime, dotée d’une grande force et d’une fraternelle tendresse. De son oeuvre poétique émane une aura, un magnétisme rayonnant d’une densité à la fois humaine et transcendantale.
Le poète en elle lui venait d’un Ailleurs, d’une dimension autre, suscitant, de son «troisième œil», une vision-sensation ouvrant un espace proprement poétique — qualitativement autre que l’espace de l’entendement ou de la conception calculée —, dans lequel une voix résonne, dont l’origine demeure énigmatique, procédant d’un lieu d’une radicale altérité. Car le poème, pour Liliane Wouters, n’est pas un effet de langage,
il précède bien plutôt celui-ci qui, loin de le constituer, n’en est que le vecteur.
Quant au théâtre, il fut aussi très important pour Liliane Wouters, quoique situé sur un tout autre plan que la poésie. Il s’écrivit en parallèle de l’œuvre poétique. De 1962, avec Oscarine et les tournesols, à 1991, elle écrivit une dizaine de pièces dont la plupart furent jouées, trois demeurant inédites à ce jour : L’Écossaise, consacrée à Marie Stuart; Moi, Frédéric (Frédéric II de Hohenstaufen); Mohamed et Juliette, une comédie jouée seulement à la radio.
En 1979, Albert-André Lheureux, directeur du théâtre «L’esprit frappeur», lui commanda une pièce : ce fut Vie et mort de Mademoiselle Shakespeare; puis, en 1983, ayant pris sa retraite depuis peu, Wouters créa La Salle des profs qui connut un succès
retentissant et toucha un très large public. Suivirent d’autres œuvres : L’Équateur (1986), Charlotte ou la nuit mexicaine (1989) jouée à Charleroi, à Paris puis à Genève, et, enfin Le Jour du Narval (1991).
Tout au long de son œuvre, Wouters entrevoit que le salut n’est que dans l’amour avec ses diverses déclinaisons. Il est le moteur ontologique de sa poésie. La mort, elle, — et ce dès les tout débuts de l’œuvre —, n’en est jamais bien loin. Le temps passant, elle approfondit sa contemplation de l’amour, autant charnel que spirituel, et mûrissent chez elle sa pensée de la vie, son humour, sa grande finesse psychologique, sa compassion et sa tendresse pour les êtres.
Il nous faut également évoquer son œuvre de traductrice et son travail d’anthologiste. Par ses traductions, Liliane Wouters a pu jeter un pont entre ses origines flamandes et sa riche culture française. Ainsi, en 1961, parut Belles heures de Flandre (chez Seghers) qui révéla au public français la richesse littéraire du Moyen Âge flamand. L’ouvrage eut un fort impact en Belgique comme en France. S’ensuivit Bréviaire des Pays-Bas (1973) et Reynart le Goupil (1974), le Roman de Renart flamand, une commande de l’Unesco. Il y eut ensuite son magistral Guido Gezelle (Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1965).
Elle fit également œuvre d’anthologiste : tantôt avec Alain Bosquet, tantôt avec Yves Namur. Après son Panorama de la poésie française de Belgique (Jacques Antoine, 1976), elle composa, avec Alain Bosquet, La Poésie francophone de Belgique, en quatre tomes, tous édités en 1992 par notre Académie. Avec Namur, elle réalisa Le Siècle des femmes (2000) puis Poètes aujourd’hui (2007).
Elle fut élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en mars 1985 où elle fut reçue par Jean Tordeur au fauteuil qu’avaient occupé Paul Spaak, Charles Plisnier et Robert Goffin.
Liliane Wouters est décédée à Gilly, dans la région de Charleroi, le 28 février 2016.– Philippe Lekeuche
BIBLIOGRAPHIE
La Marche forcée, poésie, Bruxelles, Éditions des Artistes, Georges Houyoux, 1954.
Le Bois sec, poésie, Paris, Gallimard, 1960.
Belles heures de Flandre, adaptation de poèmes (Poésie flamande du Moyen-Âge), Paris, Pierre Seghers, 1961 (rééd. Bruxelles, Éditions Les Éperonniers, coll. « Passé-Présent, 1997).
Oscarine ou les tournesols, théâtre, création du Rideau de Bruxelles, 1964.
Guido Gezelle, essai et adaptation de poèmes, Paris, Pierre Seghers, coll. «Poètes d'aujourd'hui», 1965.
Le Gel, poésie, Paris, Pierre Seghers, 1966.
La Porte, théâtre, création Festival du Jeune Théâtre, Liège, 1967.
Bréviaire des Pays-Bas, adaptation de poèmes (Poésie flamande du Moyen-Age), Paris, Éditions Universitaires, 1973.
Reynart le Goupil, adaptation du poème du moyen néerlandais, Bruxelles, Éditions La Renaissance du Livre, 1974.
Panorama de la poésie française de Belgique, anthologie, Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, 1976.
Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare, théâtre, création Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, 1979.
Terre d'écarts, anthologie, en collaboration avec André Miguel, Paris, Éditions Universitaires, 1980.
La Célestine, adaptation (d'après Fernando de Rojas), théâtre, Théâtre Royal du Parc, Bruxelles, 1981.
«Le monument» (un acte du spectacle collectif Le 151e), théâtre, Maison de la Culture de Mons, 1981.
«La mort de Cléopâtre» (un acte du spectacle collectif Cléopâtre), théâtre, Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, 1982.
Autour d'une dame de qualité, pièce en un acte, théâtre, création Atelier d'écriture, Neufchâteau, 1983.
La salle des profs, théâtre, création Maison de la Culture de Mons, Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, 1983 (rééd. Bruxelles, Éditions Labor).
L'Aloès, poésie, Paris, Luneau-Ascot, 1983.
Parenthèse, poésie, Le Verbe et l'Empreinte, Saint-Laurent-du-Pont (France), 1984.
Ça rime et ça rame, anthologie pour les jeunes, Bruxelles, Éditions Labor, 1985.
L'Équateur, théâtre, création Théâtre de l'Esprit frappeur (Botanique), 1986.
L'Équateur, suivi de Vies et Morts de Mademoiselle Shakespeare, théâtre, Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, 1986.
Charlotte ou la nuit mexicaine, théâtre, Bruxelles, Éditions Les Éperonniers, 1989.
Journal du scribe, poésie, Bruxelles, Les Éperonniers, 1990.
Le jour du Narval, théâtre, Bruxelles, Éditions Les Éperonniers, 1991.
La poésie francophone de Belgique, avec Alain Bosquet, anthologie, 4 tomes, Bruxelles, Éditions de l'ARLLFB, 1992.
Tous les chemins conduisent à la mer, poésie, Bruxelles, Les Eperonniers, coll. «Passé Présent», 1997.
Un compagnon pour toutes les saisons, traduction, Guido Gezelle, Autres Temps, Marseille, 1999.
Le Billet de Pascal, poésie, Luxembourg, Éditions Phi, 2000.
Le siècle des femmes, avec Yves Namur, anthologie, Bruxelles, Éditions Les Éperonniers, 2000.
Changer d'écorce, poésie, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.
Poètes aujourd'hui : un panorama de la poésie francophone de Belgique (avec Yves Namur), anthologie, Châtelineau/Saint-Hippolyte, Le Taillis pré/ Le Noroît, 2007.
Paysages flamands avec nonnes, mémoires, Paris, Gallimard, 2007.
E-BIBLIOTHÈQUE
Poète et dramaturge : une question d'identité (PDF 65Ko)
Communication à la séance mensuelle du 12 mai 1990
L'enfant et la poésie : utopie ou réalité (PDF 84Ko)
Communication à la séance mensuelle du 9 septembre 1995
Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes) (PDF 80Ko)
Communication à la séance mensuelle du 14 février 1998
L'écrivain et son lecteur (PDF 72Ko)
Communication à la séance mensuelle du 14 février 2004 (avec Jacques De Decker)
Une constellation poétique (PDF 84Ko)
Communication à la séance mensuelle du 12 février 2005
DISCOURS DE RÉCEPTION (séance publique du 26 octobre 1985)
Discours de Jean Tordeur (PDF 95Ko)
Discours de Liliane Wouters (PDF 82Ko)
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