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Lauréat :
Florian Pâque pour Sisyphes (Lansman, 2022).
Jury :
Luc Dellisse, Paul Emond, Xavier Hanotte, Caroline Lamarche, Nathalie Skowronek.
Autres finalistes :
Lénaïc Brulé, Ricochet, Lansman
Valériane De Maerteleire et Thierry Debroux, Coiffeuse d’âmes, Lansman
Alex Lorette, La ligne de partage des eaux, Lansman
Aurélie Vauthrin-Ledent, La question qui fauche (ou l’autre Othello), Les oiseaux de nuit.
Extrait de l'argumentaire du jury :
Né en 1992, Florian Pâque est également metteur en scène et acteur. Après une première formation théâtrale à l’Académie César Franck de Visé et des études de philologie romane à l’ULG, il suit à Paris le cours Florent, dans le cadre duquel il monte ses premiers spectacles. Il anime aujourd’hui la compagnie Le Théâtre de l’Eclat.
Déjà distingué par l’Académie qui lui a décerné, en 2021, son Prix Découverte pour ses deux premières pièces publiées, il vient de confirmer brillamment le développement de son talent avec Sisyphes (Lansman Editeur), auquel lui est attribué le Grand Prix des Arts du spectacle.
«Cette histoire est un mythe et tous les mythes s’écrivent au présent», déclare un acteur dans le prologue de la pièce. Particulièrement cruel dans sa vision de la condition humaine, le mythe de Sisyphe permet à Florian Pâque d’évoquer la situation des plus précaires condamnés à ne jamais s’élever dans une société en panne d’ascenseur social. Ce dont se fait l’écho l’absurdité d’une première scène qui reviendra tel un refrain : on a beau pousser sur le bouton d’un étage, à chaque fois qu’on sent monter l’ascenseur, puis que la porte s’ouvre, c’est le rez-de-chaussée qui apparaît.
Tel est le destin d’Hélène et Benoît qui espèrent désespérément percer le plafond de verre les maintenant dans l’adversité. L’auteur fait s’entrecroiser les époques et multiplie les anachronismes pour raconter l’histoire de ce couple intemporel, paysans criblés de dettes au Moyen Age, ouvriers privés d’emploi par l’arrivée du machinisme au XIXe, travailleurs contemporains surexploités par l’ubérisation, toujours maintenus au même niveau zéro, malgré leurs efforts incessants pour échapper à un tel sort.
On ne peut qu’apprécier la façon dont Florian Pâque s’empare d’un tel sujet qui n’est pas sans risque. Rien de lourd ou de pathétique dans sa façon de faire. Toute de vivacité, l’écriture de Sisyphes varie sans cesse les registres narratifs et les modes d’énonciation. Elle manie la férocité et le burlesque dès qu’elle met en scène les relais du pouvoir, fonctionnaires, religieux, industriels, voire aujourd’hui les algorithmes, et s’amuse bien souvent à grossir le trait jusqu’à la farce. Elle passe sans transition à des dialogues où l’intimité du couple est rendue avec tendresse et poésie. Elle ne craint ni l’arrêt réflexif, ni l’adresse au public, comme dans le finale qui questionne une dernière fois l’infernale répétition imposée par le mythe : «Sisyphe est-il vraiment condamné à ne jamais s'élever?» Et si cela ne dépendait que de nous ? suggère l’auteur.
– Paul Emond |