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Lauréat :
Louis Adran pour Cinq lèvres couchées noires (Cheyne, 2020).
Jury :
Philipe Lekeuche (coordinateur), Éric Brogniet, Paul Emond, Véronique Bergen, Yves Namur.
Autres finalistes :
Pamela Ghislain pour Anna, (Lansman, 2020, théâtre); Jérémy Lambert pour Le verger fou (inédit, poésie).
Extrait de l'argumentaire du jury :
La collection Grands Fonds des éditions Cheyne – dans laquelle paraît ce titre – entend «donner leur chance à des textes choisis pour leur vérité humaine tout autant que pour leur exigence formelle». Et pour le coup, c’est magnifiquement réussi avec cette publication à laquelle l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique décerne son Prix Découverte 2020.
Sur l’auteur, on sait aujourd’hui peu de choses : il est né à Beyrouth en 1984, vit actuellement en Belgique et Cinq lèvres couchées noires est son premier texte publié. Mais quelle maîtrise, quelle puissance dans le phrasé et la langue elle-même, quel débordement et quelle inventivité !
Ce texte, en deux fragments, s’il se présente comme une prose poétique dont on remarquera la mise en forme particulière, s’ouvre sur l’un des très rares poèmes qui adoptent la structure du vers libre et que voici : C’était comme la nuit. // Nous bête j’ai pensé, / et cinq sûrement roulant parfumés / vers l’étable // l’entaille. Fragment énigmatique que ceci, mais qui servira de repère tout au long de la lecture et de la traversée de paysages par les «cinq» (sont-ils vraiment des soldats, ces marcheurs en draps blancs très nus, soldats lustrés d’une vieille peine par les jardins?).
Il y a peut-être deux regards distincts à poser sur ce livre : d’abord ses images, ses parfums, ses odeurs de souks et d’autre part, l’écriture en elle-même, ses volutes, sa synthase tronquée et ses miroitements. Ces deux mouvements entremêlés donnent au lecteur l’impression d’être emporté par une force quasi hallucinogène, tourbillonnante, parfois mystérieuse voire même inquiétante. C’est là qu’on entrevoit le pouvoir de l’écriture sur nos corps et qu’on s’y abandonne volontiers, même si, comme le confie Louis Adran, nous n’avions pour toute langue que ces gestes furtifs.
Mais qu’on ne l’oublie pas, l’entaille (dont il est question dans le poème inaugural) c’est d’abord la blessure, qu’elle soit physique ou qu’elle soit infligée aux mots et à la langue… jusqu’à produire malgré tout une dictée belle des jours sans raison.
Lire Cinq lèvres couchées noires, c’est découvrir une écriture qui bouscule la syntaxe. Mais c’est peut-être aussi partager une douleur secrète, le pays dévasté de nos lèvres et celui des langages brisés, comme nous l’avoue explicitement l’auteur qui cependant cherche encore des restes de fête. Un Louis Adran qui retient toute notre attention et se révèle d’emblée porteur de feu.
Pour conclure et vous inviter à cette découverte, je citerai volontiers ce fragment : «Avec cette lèvre retrouvée, d’une pâleur inquiétante, qui ne semblait courir sous les mots que par mégarde, nous ferons plus tard un trafic de paroles simples, une cour enceinte de vieux murs, un tapin blond, une dictée belle des jours sans raison.»
– Yves Namur |