|
|
Lauréat :
Florian Pâque pour Avec le paradis au bout (Les Cygnes, 2021) et Etienne A. (Lansman, 2021).
Jury :
Éric Brogniet, Paul Emond, Corinne Hoex, Philippe Lekeuche, Gabriel Ringlet.
Autres finalistes :
Julien Goossens, L’Entrepôt barbare (inédit)
Olivier Noria, Rendre Grâce (inédit)
Extrait de l'argumentaire du jury :
Né en 1992, Florian Pâque est également metteur en scène et acteur. Après une première formation théâtrale à l’Académie César Franck de Visé et des études de philologie romane à l’ULiège, il suit à Paris le cours Florent, dans le cadre duquel il monte ses premiers spectacles. Il anime aujourd’hui la compagnie Le Théâtre de l’Éclat. Le Prix Découverte lui est décerné pour ses deux premières pièces publiées, Avec le paradis au bout (Éditions Les Cygnes) et Étienne A. (Lansman Editeur). Le Prix entend mettre en évidence le talent d’un jeune auteur maniant avec une égale maîtrise deux registres très différents : d’une part une œuvre chorale qui reparcourt l’histoire du monde depuis la chute du Mur de Berlin, le moment où sont nés les acteurs pour lequel elle est rédigée; de l’autre, une pièce intimiste où se trouve décrite l’existence sans horizon d’un manutentionnaire de la firme Amazon.
En une grande fresque chatoyante composée de scènes rapides, Avec le paradis au bout (ce titre est emprunté à un vers de Verlaine) évoque une série d’événements dramatiques ou de problèmes majeurs qui ont marqué le début de ce siècle; de Berlin en liesse en 1989, on passe entre autres à l’écroulement des Twin Towers, la mise à feu du Moyen-Orient, la crise financière, l’incessante tragédie de la migration, la poubellisation de la planète ou le début de l’actuelle pandémie. Des personnages en tout genre, tantôt émouvants, tantôt drôles et inattendus, à moins que n’apparaisse telle ou telle personnalité connue ou que les acteurs s’expriment en leur propre nom, se succèdent pour faire entendre le point de vue d’une génération sur «ce nouveau monde sans boussole», comme l’écrit Amin Maalouf. «J’ai mal au monde», dira un des interprètes; et un autre : «Voilà vingt ans que nos enfances ont disparu.» D’où la question posée dans un dernier tableau consacré au nettoyage de toilettes communes : «Mais quel matin possible pour une nuit sans fin?»
Fourmi parmi les fourmis, soumis à une cadence épuisante, alors même que son chef lui reproche sa baisse de rendement (un siècle plus tard, Les Temps modernes de Chaplin sont toujours d’actualité), Étienne A. n’arrête pas, jusque dans ses rêves, d’expédier des cartons. Même en ce soir du 24 décembre où se passe la pièce, il est obligé de prester, puisqu’il est travailleur de nuit. Dans les heures qui précèdent, il a porté les cadeaux de circonstance à un père plutôt indifférent; son ex-femme a exigé inopinément qu’il garde leur fils de sept ans pendant l’après-midi; manager dans la même «grande famille» Amazon — le hasard veille à tout —, le nouveau mari lui en a remis une couche sur ses mauvaises prestations. Quand il arrive au travail, la collègue qui est l’objet de ses pensées constantes, lui annonce qu’elle va se marier. Cette vie de grisaille, de misère morale et de contraintes permanentes, Florian Pâque la décrit sans pathos mais avec empathie, voire avec tendresse, allant jusqu’à offrir à son protagoniste, en guise de dénouement, une échappatoire de l’ordre de la fable poétique. Une description accomplie avec une grande justesse d’écriture qui, la plupart du temps, évite le dialogue et juxtapose des tirades s’apparentant bien davantage au monologue, sinon au soliloque.
– Paul Emond |