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Lauréate :
Négar Djavadi pour l’ensemble de son œuvre.
Jury :
Corinne Hoex, Caroline Lamarche, Pierre Mertens, Jean-Luc Outers, Nathalie Skowronek
Autres finalistes :
Fatou Diome Vénus Khoury-Ghata
Mohamed Mbougar Sarr
Larry Tremblay.
Extrait de l'argumentaire du jury : Le prix Nessim Habif récompense une œuvre écrite en langue française par un écrivain qui n’est pas Français d’origine.
Je suis la petite-fille d’une femme née au harem. Non seulement j’étais une fille, mais je n’avais pas hérité des yeux bleus de la dynastie des Sadr. Ainsi parle Kimiâ, double romanesque de Négar Djavadi. Née en Iran en 1969, elle fuit la Révolution islamique en traversant à cheval les montagnes du Kurdistan. Négar a onze ans et s’installe avec sa famille à Paris. Pour s’intégrer il lui faudra «désapprendre» sa culture d’origine et se fondre dans les codes occidentaux. Ne pas faire de vague, ne pas montrer que l’on n’est pas d’ici. Le français pourtant est acquis. Négar suit sa scolarité au lycée français de Téhéran. Sans doute est-il pour quelque chose dans son amour pour notre langue et sa littérature.
S’inspirant en partie du parcours de son auteure, Désorientale, paru en 2016, raconte la saga d’une famille d’intellectuels iraniens sur trois générations. Il rencontre un grand succès critique et de librairie et sera traduit dans une dizaine de langues. Alors une question s’impose : pourquoi y revenir aujourd’hui, six ans plus tard? Parce que Désorientale nous fournit un formidable et nécessaire témoignage sur la résistance iranienne. D’abord au régime du Shah, ensuite à Khomeiny, par extension à ce que traverse le pays depuis de nombreux mois. Et qu’est-ce que la littérature si elle passe à côté de son temps? Négar Djavadi nous restitue un Iran des années 70 où l’on rêve de «corps SophiaLorenti» et de «cheveux coupés à la mode NathalieWoodi», où l’on a peur, où l’on se cache. En d’autres mots, la liberté qui a été enlevée aux Iraniens et pour laquelle ils se battent encore aujourd’hui. Hommes et femmes côte à côte. À qui nous voulions aussi, avec nos moyens, envoyer un signe de solidarité et de fraternité.
Nul doute qu’avec un tel héritage, on ne se détourne pas de l’engagement politique. Ce que révèle Arène, deuxième roman paru en 2020, qui livre un portrait de notre monde contemporain depuis Paris, sa banlieue, ses réseaux sociaux, sa jeunesse désabusée, ses travailleurs. Une façon de continuer d’aller voir là où les aspirations à un meilleur sont éternellement repoussées. Ajoutons enfin que Bruxelles n’est pas une destination inconnue pour l’auteure. Elle y suit des études de cinéma à l’INSAS («J’avais dix-huit ans et des cheveux qui m’arrivaient à la poitrine»), célèbre le tram 71 et une ville qui «lui rappelle l’Orient, par sa simplicité et sa naïveté, par la nonchalance avec laquelle le temps s’écoule». Alors oui, pour toutes ces raisons, c’est avec beaucoup de fierté que nous vous remettons le prix Nessim Habif. Et de nous confirmer que la littérature, autrement qu’à travers la ronde des actualités et les mirages de la Silicon Valley, a encore toute sa place pour dire le monde, nous vous sommes reconnaissants.
– Nathalie Skowronek |