À propos du livre (texte de la Préface)
La bibliographie d'Émile Verhaeren, établie avec le plus grand soin par M. J.-M. Culot, est la plus complète de toutes celles dont l'uvre du poète a été l'objet jusqu'à présent. L'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises a décidé de la publier à l'occasion du Centenaire de la naissance de Verhaeren, commémoré en 1955. C'est là, en dehors de toutes les biographies et études cri-tiques auxquelles la vie et les poèmes de l'auteur de Toute la Flandre ne manqueront pas de fournir matière, un précieux instrument de travail et un moyen d'information pour tous ceux qui voudront pousser plus loin l'étude de l'homme et du poète. L'uvre est en effet le miroir de la vie : Verhaeren a mis dans ses vers beaucoup de lui-même, de ses souvenirs, de ses sentiments, de ses peines et de ses joies. Il importe donc de connaître avec exactitude l'ordre de publication des recueils, la succession de leurs éditions avec les corrections, les additions ou les suppressions dont chacun d'eux a été l'objet de la part de l'écrivain, et les commentaires de la critique.
Une bibliographie aussi judicieusement établie constitue une véritable biographie intellectuelle, dans laquelle le lecteur peut suivre l'évolution de la pensée et de la vie secrète de l'uvre. Elle dépasse en intérêt la nomenclature un peu sèche et forcément incomplète dont on disposait jusqu'à présent. Celle-ci se présentait presque toujours comme le complément réputé indispensable à toute étude, mais reproduisant les mêmes erreurs et les mêmes omissions. Les auteurs, pour cette part de leur information, se répètent trop souvent les uns les autres. C'est que la bibliographie, science en vérité un peu ingrate, et qui exige des recherches arides, demande une enquête longuement poursuivie, le souci du détail et de l'exactitude, une parfaite rigueur de méthode, poussée jusqu'au scrupule dans la correction typographique. Bien peu ont la patience voulue et s'imposent de conduire jusqu'au bout leurs investigations. M. J.-M. Culot n'a reculé devant aucune peine. Le résultat atteint par lui en porte témoignage.
Pour une bibliographie comme celle de Verhaeren, le travail était d'autant plus difficile à mener à bien qu'ont paru à l'étranger des éditions dont les grandes bibliothèques publiques de France et de Belgique ne possèdent pas toujours d'exemplaire. Les traductions posent d'autres problèmes: les titres ne sont pas identiques à ceux de la langue originale, les transcriptions des écritures peuvent devenir aisément causes d'erreurs et leur déchifrement exige l'intervention d'une aide compétente. Il n'est pas d'idiome dans lequel des poèmes, souvent des uvres entières de Verhaeren, n'aient été transposés, de l'anglais et de l'allemand aux langues nordiques et slaves. Pour arriver à un recensement complet, il faut avoir recours à des intermédiaires capables de poursuivre sur place une information qui demande un effort d'autant plus prolongé que la date de ces publications s'éloigne dans le temps.
Verhaeren ne refusait jamais sa collaboration aux revues qui la sollicitaient. Elles étaient nombreuses à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, mais les collections complètes en sont rares; leur vie fut souvent discrète et éphémère. Or leur intérêt réside en ceci que les versions de poèmes qu'elles présentent, souvent les premières publiées, sont en quelque façon les préoriginales, qu'il est parfois intéressant de comparer avec la version définitive. Il y aura là matière à un travail d'exégèse dont la présente bibliographie permettra de jeter les bases et de mener ensuite à bien. On ne tardera pas à s'apercevoir que pareil examen devra être entrepris pour nos grands écrivains belges : nous manquons d'éléments d'information pour la plupart d'entre eux.
On trouvera donc ici, pour commencer, le relevé des ouvrages collectifs auxquels le poète a apporté sa contribution : anthologies, numéros spéciaux de revues, almanachs littéraires, etc. Après quoi, viennent les collaborations aux revues et journaux ; mais ici il a fallu se limiter à l'indication des années durant lesquelles le nom de Verhaeren apparaît aux sommaires. Il sera loisible au lecteur de se reporter à la table des matières de la revue ou, éventuellement, de feuilleter la collection du journal pour l'année indiquée. Le relevé détaillé d'une telle matière eût été hors de proportion avec son intérêt et avec la place nécessaire à son insertion. Suivent les études sur Verhaeren, volumes ou brochures, ainsi que la liste des ouvrages contenant des études qui lui sont consacrées. Quant aux articles parus dans des revues et des journaux, ils font l'objet d'un relevé par année, ce qui permet de retrouver très aisément les critiques des diverses uvres, dont on trouvera les dates de publication dans la bibliographie des ouvrages de Verhaeren.
Dès 1883, au lendemain de la sortie en librairie des Flamandes, Giraud, dans deux articles différents parus la même année, Rodenbach, Picard, Nizet, commencent cette longue littérature critique qui, depuis plus de soixante-dix ans, n'a cessé de tresser des couronnes de fleurs et parfois d'épines autour d'une uvre qui a occupé une place importante dans la production poétique, à telle enseigne qu'aux yeux des Belges et des Français comme des étrangers, Émile Verhaeren demeure un des poètes majeurs de son temps. On ne peut qu'être frappé par le nombre des traductions de ses poèmes et par l'attention dont il a été l'objet de la part d'écrivains qui occupent une place éminente dans leur propre littérature: un Ludwig Schraf, un Stefan Zweig, une Erna Rehwoldt, un Valère Brussov, un Arthur Symons ou un Willem Gijssels. Certaines de ces traductions eurent plusieurs éditions; ce fait assez significatif ne se produit que pour les très grands poètes, qui atteignent à une audience universelle. Nous pourrions faire d'autres constatations en parcourant ce travail, qui n'a pas seulement un intérêt documentaire et une utilité d'information. Il groupe dans leur exacte perspective des renseignements jusqu'à présent épars, mal connus, ou sur lesquels l'attention de ceux qui aiment l'uvre du grand lyrique n'avait pas été attirée.
L'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises a pensé que c'était là un hommage à rendre à Verhaeren à l'occasion de son centenaire. Elle a été heureuse de s'assurer la collaboration de M. J.-M. Culot pour mener à bien ce travail qui, par la date et par l'objet, sera un des témoignages de son admiration pour le poète de génie qu'elle aurait eu à honneur, n'était la mort venue trop tôt, de compter parmi ses membres.
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