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La longue histoire de la formation de la Belgique, tour à tour province de la maison de Bourgogne, de la maison d'Autriche, province espagnole, assemblage de villes livres, partie intégrante de la Hollande, enfin royaume autonome, fait bien comprendre que rien de ce qui ressemble à une littérature nationale n'a pu fleurir sur cette terre incertaine, avant les dernières années du dix-neuvième siècle. Cependant, n'y a-t-il pas eu une littérature des provinces Belgiques, des provinces flamandes ou wallonnes, avant le moment où il sied de parler d'une littérature belge? Adènes le Roi qui écrivit un des poèmes les plus célèbres du moyen âge : Berte aux grands pieds, ne naquit-il pas en Brabant, ne vécut-il pas sous un comte brabançon? Et Froissard, ne fut-il pas de Valenciennes, et Comines, de Comines, à une époque où Valenciennes et Comines étaient, non des villes françaises, mais des villes flamandes, à l'époque où les Flandres étaient bourguignonnes? Et plus tard, le prince de Ligne, écrivain du meilleur esprit français, né à Bruxelles en 1735, ne peut-il être donné à la Belgique mieux qu'à la France ? Sans vouloir en rien réformer une habitude qui nous enrichit de forts beaux noms, on peut tout de même noter que la Belgique n'est pas la terre sans tradition littéraire que l'on croit et que ses racines plongent au plus profond des êtres.
À vrai dire, l'expression littérature belge n'est légitime et n'est adoptée que depuis très peu d'années. J'en placerais la naissance vers 1881, sinon en cette année même où parut le premier numéro d'une revue appelée la Jeune Belgique, mais, bien avant cette date, Bruxelles, si grandie et si remplie dans la Révolution, était un centre littéraire. Le prince de Ligne avait écrit partout, publié partout, au hasard des chevauchées de guerre, ceux qui virent après lui, sans guère le connaître, d'ailleurs, eurent des destinées plus sédentaires. C'est à cela qu'on reconnaît qu'un pays, ne fût-il encore qu'une province, manifeste la volonté de se créer une littérature, c'est que des écrivains y naissent, y vivent, y meurent, qu'ils y ont cherché un public dans la capitale du territoire, qu'ils dépendent de ses murs et de ses idées, qu'ils ont cessé, en un mot d'être, comme le prince de Ligne, comme Jean-Jacques Rousseau, détachés de leur milieu.
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