À propos du livre
Si l'on s'arrête un instant pour jeter un regard d'ensemble sur la vie de Marguerite d'York, on ne laisse pas d'être étonné, voire confondu de tout ce qui a rempli cette vie, des activités aussi multiples que diverses auxquelles la duchesse s'est adonnée, de tout ce qu'elle a réalisé dans les grandes et les petites choses. Elle vivait, semble-t-il, à un rythme précipité, entraînée par une volonté toujours tendue. Mais ce rythme ne faiblissait-il jamais? N'arrivait-il pas à cette volonté de se détendre?
Luc Hommel décrit les réjouissances de la «noble feste» du mariage avec une éblouissante profusion d'images. Il reprend ensuite l'implacable acheminement de la tragédie de Charles le Téméraire, en centrant, cette fois, les événements sur la femme que le duc de Bourgogne avait épousée à contre-coeur, uniquement pour se ménager l'alliance an-glaise contre Louis XI. Il nous montre Marguerite d'York affrontant avec sang-froid les premiers désastres, tentant d'obtenir l'aide des députés des États et, enfin, quand le drame est consommé, soutenant avec affection et intelligence les efforts de Marie de Bourgogne en vue de sauver son héritage menacé. «Le mariage autrichien, estime Luc Hommel, a sauvegardé les fondements de la nation belge. Pour avoir voulu à tout prix ce mariage, Marguerite d'York mérite une large part dans l'existence de l'actuel royaume de Belgique».
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Extrait du Chapitre 1 : Une rose blanche
Fotheringay! Forteresse plutôt que demeure seigneuriale, dont le quadrilatère massif, avec son donjon central, ses énormes tours d'angle, ses mâchicoulis, ses créneaux, se dressait dans la plaine du Northamptonshire, à deux lieues de Peterborough.
En 1586, la reine Elizabeth y fera enfermer sa cousine et rivale Marie Stuart. Dans la salle d'apparat du château, après un simulacre de jugement, la charmante reine d'Écosse sera décapitée, en robe de soie pourpre.
Pour effacer le souvenir de cette tragédie, où il avait quelque responsabilité, le fils de Marie Stuart, devenu roi d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier, ordonnera de ne laisser pierre sur pierre du château.
C'est dans cet austère Fotheringay, un siècle et demi plus tôt, que Marguerite d'York, troisième fille et sixième enfant (ils en auront douze) du duc Richard d'York et de Cécile Neville, vit le jour, le 3 mai 1446.
Elle naît à un moment grave de l'histoire d'Angleterre à la suite des insuccès répétés du corps expéditionnaire anglais en France (phase ultime de la guerre de Cent Ans) le pays connaît un état d'agitation politique et sociale qui dégénérera bientôt en une atroce lutte civile, la guerre des Deux-Roses.
Durant cette période un quart de siècle , l'Angleterre devient une sorte de pays rouge. Ce ne sont que batailles, meurtres, vengeances et supplices. Une guerre civile totale. Cette longue et sauvage période inspirera à Shakespeare, «génial pasticheur de l'Histoire», ses grands drames historiques.
Plutôt que le peuple, c'est la noblesse qui s'entr'égorge. Dans cette lutte fratricide, la famille de Marguerite joue un rôle de premier plan. Les York représentent la Rose blanche. Ils finiront par triompher de la Rose rouge, les Lancastre. Mais à quel prix! Nombreux seront les proches de Marguerite qui périront dans la tourmente. Son père et son frère aîné y resteront. L'enfance et l'adolescence de la princesse baigneront dans ce climat de guerre civile. Elle en sera marquée pour toute la vie. Ces événements, qui la touchaient directement, ont façonné, pour une grande part, sa personnalité; ils expliquent la passion et même le fanatisme qui la posséderont à certains moments. Il convient, dès lors, de les rappeler succinctement.
Le père de Marguerite, Richard d' York, descendait, par sa mère, de Lionel de Clarence, troisième fils du roi Edouard III, cet Edouard III qui, en 1346, à Crécy, avait allumé la guerre de Cent Ans. On conçoit dès lors que le duc Richard ait été fondé à émettre, comme nous allons le voir, des prétentions au trône anglais. Quant à la mère de Marguerite, elle appartenait à la famille des Neville, la plus puissante d'Angleterre, d'où sort un personnage que nous rencontrerons bientôt : le comte de Warwick, connu dans l'histoire sous le surnom de kingmaker, faiseur de rois.
À la naissance de Marguerite, le trône est occupé par Henry VI, proclamé à son avènement «roi de France et d' Angleterre». C'est un prince pieux, de moeurs chastes, d'une patience évangélique, portant le cilice sous ses habits de cour (l'Église a songé à le canoniser). Par un paradoxe tragique, ce prince débonnaire, qui aimait ses sujets comme des frères, qui était à ce point pacifique qu'il n'endossait jamais une armure, a connu (on évoque malgré soi, à son propos, l'inoffensif Louis XVI) un des règnes les plus ensanglantés de l'Histoire.
Que Henry VI fût le roi légitime, on pouvait le contester. Son grand-père, un Lancastre, avait, en 1399, déposé par la force le roi Richard II, petit-fils d'Edward III, un despote il est vrai. Il s'était ensuite fait donner l'investiture royale par le Parlement et avait de la sorte inauguré la dynastie lancastrienne, sous le nom de Henry IV. Cinquante ans de pouvoir n'avaient pas effacé la tare originelle de l'usurpation.
À tout prendre, la raison des troubles qui vont bouleverser l'Angleterre durant la seconde partie du règne de Henry VI tient moins à la question de la légitimité du pouvoir royal qu' à la faiblesse du roi. Pour être un saint, Henry VI n'avait rien de l'envergure politique d'un Charles VII ou d'un Philippe le Bon, ses contemporains. De surcroît, les événements eux-mêmes lui seront contraires.
Sous le règne de son père Henry V, le pays avait vécu une période d'exaltation nationale. Il y avait eu l'éclatante victoire d'Azincourt (1415) : 8.000 archers anglais fauchant la fleur de la chevalerie française. Henry V s'était emparé de la Normandie, du Maine, de l'Anjou. Il avait occupé Paris. Il s'était fait proclamer régent de France, avec droit de succession au trône, la France et l'Angleterre devant former sous son sceptre une double monarchie.
Ces conquêtes, l'Angleterre parvint à les maintenir et même à les étendre durant les premières années du règne de Henry VI. La situation commença à se retourner lorsque les soldats de Talbot, cherchant à passer la Loire, trouvèrent en face d'eux Jeanne d'Arc (1429). Vingt-cinq ans plus tard, l'Angleterre, refoulée de partout, ne possédera plus sur le continent qu'un bout de sol, Calais.
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