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Petits cultivateurs de Boom, les Tuyaerts achetèrent à bas prix des biens d'Église nationalisés par la Révolution française. Après le Congrès de Vienne, le rattachement de nos provinces à leur voisin protestant leur conserva une terre riche en argile à briques. La famille resta reconnaissante à la France : Men weelde ben ik dank aan de Fransmanne? Mijn zoon stuur ik naar Parijs om te studeren. Et on envoya le fils le mieux doué étudier le droit en Sorbonne. Jan, né en 1811, suivit aussi les cours d'astronomie d'Arago. Il était si soigneux, si précis, que lui seul avait mission d'ôter la poussière du télescope. Il se passionna pour Chateaubriand, Lamartine; la lecture de Jean-Jacques Rousseau lui révéla la botanique. En politique, il admirait le gouvernement libéral de Louis-Philippe.
Une fois avocat, Jan s'établit dans le village dont était issue sa famille et épousa la fille d'un ancien fonctionnaire du département des deux Nèthes. Elle disposait d'une agence de bière à Louvain et d'une briqueterie. Il géra les deux et devint bourgmestre. Bourgmestre libéral ses parents ne devaient-ils pas leur aisance à des biens ecclésiastiques? sans négliger la religion : il ne manquait ni la messe du dimanche ni la procession. Sa femme et ses quatre filles héritèrent de ses opinions, avancées pour l'époque.
Bien que de langue flamande, les Tuyaerts parlaient un français correct, sans «flandricisme», mais avec un accent prononcé. Autre apport des études de leur père, on donna aux fillettes le goût des étoiles et des fleurs.
L'éducation de Marie Tuyaerts, née en 1844, fut confiée à une vieille bonne illettrée : Catherine. En 1813, cette «Trîne» avait vu, à Boom, défiler le Russe et le Prussien quand les Alliés poursuivirent les armées de Napoléon, lors de la retraite après Leipzig. Furieuse, elle avait vidé sur les têtes de ces militaires un sachet de poivre, en criant : Ça vous fera éternuer, na.
Voyant une belle fille blonde d'une vingtaine d'années les apostropher, les militaires avaient répondu : Ein Kuss! Schatz!
Peu après, Trîne faisait écouter à Jan Tuyaerts âgé de quatre ans, le grondement de Waterloo.
Quoi c'est, Trîne?
Le canon.
Quoi c'est, le canon?
Ça sert à tuer les gens. C'est de ce côté-là qu'on tue. Elle tendait la main en direction de Bruxelles. Il y en aura, des morts, et des gens couchés par terre. Ils perdent leur sang, ils appellent leur mère, ils ont soif, et personne n'a le temps de leur donner à boire. J'y vais.
Trîne développa le bon sens et la liberté d'esprit de cette enfant. Elle était un puits de savoir folklorique; les légendes du Rupel donnèrent à Marie le goût d'herboriser dictons et comptines dans leur langue originale.
Sa simplicité, son mépris des médisances, elle les devait à sa bonne : ses surs s'engourdirent dans l'éducation stricte des jeunes filles aisées. Les règles y étaient précises et menaient à des interdits ridicules; par exemple : une demoiselle qui patinait sur un canal gelé n'était pas «comme il faut». Le Journal des Dames et des Demoiselles, édité à Bruxelles faisait loi en matière de mode, beauté et morale; plus les richesses de la famille étaient récentes, plus la jeune fille s'y astreignait. Elle attendait avec impatience ses dix-huit ans pour se lancer dans la vie mondaine et se marier.
Marie Tuyaerts goûtait peu le plaisir des bals. Après une instruction élémentaire au village, elle passa deux ans au Sacré-Cur de Jette où elle s'enthousiasma pour Racine : douée d'une excellente mémoire, elle y apprit Athalie par coeur.
À vingt-six ans, elle épousa Florent Gevers qui en avait quarante-quatre. Ils s'étaient rencontrés lors d'une exposition botanique.
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