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Jamais je n'aurais oublié Aimée.
Mais sans doute son image fût demeurée à demi morte et comme embaumée, quelque part entre d'autres souvenirs, si brusquement je ne l'eusse retrouvée tout entière dans cette liasse de feuilles écornées, jaunes par places, toutes couvertes de cette poésie sale que met le temps aux choses délaissées.
En feuilletant ces papiers de maman, je cherchais, oui, des figures anciennes qui me fissent bien souffrir, peut-être quelques fils qui m'eussent ligoté à mon enfance, quelques appels qui m'eussent retenu d'aller plus loin dans ces régions de la vie où les traditions expirent, où les objets cessent d'avoir deux sens et se laissent tout entiers photographier.
Il y aurait eu des lettres de ce cousin qui plantait du café en Inulinde ; des portraits de cette tante morte à vingt ans, vingt ans avant je ne naquisse, et que je chérissait tant à cause de sa robe de mariée, des fleurs de ses cheveux ; des notes écrites par maman en marge de Lamartine qui étaient comme si des larmes achevaient de pâlir là. Je ne m'attendais pas à trouver ce dossier brun sur lequel je lirais : «Miguadeaux contre Ministère Public.»
Mais tout de suite, j'ai reconnu cette chose. Ce n'était pas la première fois que je la découvrais. Et alors Aimée est redevenue présente, pour autant que jamais un tel être puisse être présent.
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