À propos du livre (extrait de l'Introduction)
Question de méthode
«Pour mettre en oeuvre toute la richesse de l'idiome, les lexiques devraient abandonner l'ordre alphabétique et ranger les matériaux d'après les idées et les notions. C'est de cette façon que se manifestera le mieux le vocabulaire d'un patois local comme expression totale et organique de la mentalité d'un peuple
»
Cette opinion d'un grand romaniste justifie la conception du présent travail.
Puisque la valeur d'un mot dépend, non seulement du rapport du signifiant avec le signifié, mais aussi de son rapport différentiel avec d'autres mots, il est nécessaire de préciser la nuance de chacun en fonction et à l'aide des autres ; il est nécessaire d'allier ou d'opposer les divers concepts, les divers objets, les diverses activités, les diverses idées.
D'un autre côté, il apparaît aussi fort utile d'étudier et de décrire avec minutie la vie des hommes dont on examine le parler. Menées de pair, les deux études doivent apporter un résultat d'une valeur bien supérieure à celle du simple glossaire alphabétique puisqu'elles présentent un tableau plus fidèle de la réalité.
Ce n'est certes pas la première fois qu'est livré au monde des philologues, des dialectologues, des folkloristes, des ethnographes et des curieux un travail conçu selon cet esprit. Nous pourrions nous réclamer de divers auteurs, et notamment de W. Egloff qui étudia la vie du paysan dombiste. Mais c'est Le parler de La Gleize de L. Remacle qui a surtout déterminé la forme de notre travail.
Cependant à la différence de L. Remacle qui s'occupe de tous les aspects de la vie rurale dans une commune, nous nous en sommes tenu à l'étude d'une seule activité et, de plus, nous avons dépassé largement le cadre du village.
Car si l'on peut décrire la vie des hommes dans une zone restreinte et tenter de remonter le cours des siècles à l'aide de documents on peut aussi la considérer dans une aire plus vaste pour instaurer des comparaisons. Si nous avons choisi le deuxième genre de description, cela ne signifie pas que le premier présente moins d'intérêt.
Choix du sujet
Pourquoi, de toutes les activités, avons-nous choisi la culture et pourquoi nous sommes-nous borné à ce seul aspect de la vie campagnarde?
Nous avons choisi la culture parce que le hasard a voulu que nous habitions dans la Hesbaye wallonne, la région la plus agricole de la Romania septentrionale; parce que c'est surtout de la culture que vit le paysan autochtone; parce qu'il s'agit d'une activité très ancienne, bien plus ancienne que telle industrie, qu'on trouve sporadiquement dans la contrée, ou que tel commerce, toujours assez restreint dans le cadre de la campagne. Sans doute l'élevage est-il aussi connu depuis toujours, mais il reste, en Hesbaye, de moindre importance l'argile du sol produit plus de champs fertiles que de gras pâturages.
Ainsi donc, en choisissant la culture, nous préférions une activité traditionnelle, liée au sol, et dont le vocabulaire devait garder, pensions-nous, plus d'un terme intéressant et vénérable. Nous avions la chance d'être né et d'avoir toujours vécu dans ce coin roman proche du monde germanique, dans l'entourage constant des durs travailleurs de la terre.
Peut-être nous reprochera-t-on de nous être borné à une seule activité? L'idéal serait sans doute de mener une étude minutieuse de toutes les réalités de la vie dans une région aussi large que possible. Mais quels efforts exigerait une telle oeuvre! Si cet idéal peut un jour être réalisé, ce ne sera qu'après beaucoup d'études plus modestes, du genre de celle-ci.
À partir donc du moment où nous avons cru qu'il serait intéressant de nous occuper d'une aire assez large, nous nous condamnions pratiquement, pour rester dans la mesure de nos forces, à limiter notre attention à un seul sujet.
Aire des recherches
Après avoir décidé de nous intéresser à la vie et au vocabulaire agricole, il s'agissait de déterminer la zone de nos recherches.
La Hesbaye occupe une partie du pays flamand et une partie du pays wallon. Pour nous, dialectologue wallon, la limite Nord de notre champ d'intérêt devait coïncider avec la frontière linguistique.
À l'Est et au Sud, la limite de la région naturelle s'imposait, c'est-à-dire le sommet du plateau de Hesbaye avant sa retombée vers la Meuse.
À l'Ouest, la question apparaissait plus délicate. Fallait-il nous occuper de toute la Hesbaye, avancer jusqu'à Gembloux, Perwez, Jodoigne? Fallait-il, sous prétexte qu'un même sol était probablement cultivé de façon semblable et avec des instruments semblables, nous occuper de deux régions différentes du point de vue linguistique : celle du wallon liégeois et celle du wallon namurois et brabançon? Nous ne l'avons pas cru. Nous nous sommes posé comme limite Ouest la limite du dialecte liégeois, établie par J. Haust.
Enquête, témoins, documents
Dans la zone de recherches ainsi déterminée, longue d'environ. 40 kilomètres et large de 10 à 20, nous avons visité quatorze villages, muni d'un copieux questionnaire qu'un précédent travail nous avait permis d'élaborer. Dans chaque village, nous avons interrogé avec minutie et patience un vieux cultivateur autochtone. Nous l'avons influencé aussi peu que possible ; c'est seulement devant une grande difficulté de réponse que nous nous hasardions à suggérer : «Peut-être est-ce ceci... est-ce cela...» Nous avons visité chaque témoin au moins cinq fois, car le progrès de nos recherches suscitait de nouvelles questions auxquelles il fallait chercher une réponse. Nous avons même accompagné dans leurs travaux des champs certains de nos témoins. Tous ont été très aimables et très dévoués; nous tenons à les remercier.
De courtes enquêtes dans d'autres villages ne nous apportèrent la plupart du temps que de légères divergences phonétiques. Elles nous convainquirent que nos recherches en 14 points suffisaient amplement pour tracer un tableau fidèle de la vie et du parler agricole en Hesbaye.
Pour jeter quelque lumière sur le passé et pour ébaucher une vue historique de la question, nous avons aussi dépouillé de nombreuses archives ; mais ces documents, d'un âge assez peu reculé, ne nous ont pas fourni beaucoup de témoignages.
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