À propos du livre (texte de l'Introduction)
De même que les Nativités hutoises conservées dans le manuscrit 617 de Chantilly, la pièce de théâtre qui fait l'objet du présent ouvrage fut longtemps inconnue de la critique. Elle le serait peut-être restée à tout jamais si la découverte, puis la publication par G. Cohen, en 1920, des oeuvres wallonnes n'avait incité les philologues à porter leur attention de manière soutenue, pendant plusieurs années, sur cette production vénérable et sur la situation du drame religieux au pays de Liège. L'un des résultats de cet effort de recherche fut l'exhumation, au fil des dépouillements d'archives, de textes supplémentaires à verser au dossier : parmi ceux-ci, le Jeu de l'Étoile.
C'est en 1932, dans les Mélanges Grandgagnage, que M. Charles Thomas fit connaître, par un résumé et des extraits, ce fragment d'un peu moins de 300 vers, copié sur les pages blanches d'un obituaire de Cornillon, interrompu faute de place, et qu'il avait baptisé «Nativité de l'Étoile». Par la suite, une sorte de malédiction semble avoir pesé sur la pièce. M. Ch. Thomas ne put en entreprendre aussitôt l'édition. Sept ans plus tard, dans son article des Mélanges J. Haust, M. M. Delbouille formulait le dessein de réunir en un volume le corpus des nativités wallonnes, dessein que la guerre l'empêcha de mettre en oeuvre.
C'est encore le conflit mondial qui faillit faire disparaître le Jeu totalement. Avec bien d'autres manuscrits, l'obituaire de Cornillon brûla dans l'incendie des Archives de l'État à Liège, provoqué par un bombardement qui eut lieu ironie du sort le 24 décembre 1944. L'oeuvre eût été définitivement perdue, si M. Ch. Thomas n'en avait fait réaliser une photocopie au moment où il l'étudiait.
La pièce ne connut pas un meilleur sort après la guerre. La dernière étude d'ensemble consacrée aux nativités wallonnes, qui remonte à 195o, ne lui accorde que la portion congrue. En 1953, dans la deuxième édition de ses Nativités et moralités liégeoises, G. Cohen formulait le voeu de la voir bientôt publiée : ce souhait ne connut pas de suite à l'époque. Parent pauvre du genre, le Jeu de l'Étoile continuait à rester inaccessible et paraissait voué à l'oubli.
Seize ans plus tard, à la fin de 1969, M. Maurice Piron me fit part du désir qu'avait M. Ch. Thomas d'entrer en rapport avec un chercheur quinzièmiste qui pourrait reprendre sur nouveaux frais l'entreprise depuis si longtemps abandonnée. Après avoir pris connaissance du dossier, j'acceptai de le rouvrir, avec l'accord de M. M. Delbouille. M. Ch. Thomas me communiqua alors les notes et commentaires qu'il avait rédigés jadis en vue d'une édition, ainsi que sa transcription de l'oeuvre, et, pour me permettre le contrôle plus aisé de celle-ci, il fit don aux Archives de l'État à Liège d'une reproduction de l'ancienne photocopie. À sa demande, je publiai aussitôt, dans l'Ethnie française, une présentation générale du Jeu puis, un an plus tard, une «préédition», bien imparfaite encore, qui visait simplement à mettre philologues, historiens de la littérature ou amateurs de vieux théâtre en mesure de disposer du texte de première main, mais qui ne pouvait remplacer l'édition critique et l'étude exhaustive que la pièce méritait
Depuis cette «préédition», cinq ans ont passé et, dans ce laps de temps, tout a été revu, remis en forme et considérable-ment amplifié, non seulement à la lumière de la bibliographie récente (études linguistiques, éditions d'autres pièces de théâtre), mais encore et peut-être surtout , faut-il le dire, grâce à une expérience accrue de la littérature du XVe siècle, acquise au long d'autres recherches et d'autres publications. Des lectures plus étendues, une réflexion que j'espère plus approfondie, m'ont conduit à situer l'oeuvre avec plus de précision dans les courants littéraires dont elle relève. Des recherches d'archives supplémentaires ont également été menées, dans l'espoir de mettre à jour le fragment manquant; sur ce point, elles sont restées sans résultat, mais elles m'ont du moins mieux familiarisé avec le milieu liégeois de l'époque : si les questions fondamentales sur l'origine de la pièce et l'identité de l'auteur ne peuvent recevoir de réponse certaine, du moins les éléments rassemblés ici permettent-ils de formuler des hypothèses plus éclairées que par le passé. Le texte lui-même, et son commentaire, ont évolué depuis l'article de 1971. Qu'on en juge : les notes explicatives tenaient alors en un peu moins de deux pages elles en occupent aujourd'hui vingt-et-une. Par rapport à la «préédition», le texte présenté ici offre trente-quatre différences : rectification de fautes d'impression, évidemment, mais aussi d'erreurs de lecture et, surtout, révision totale des corrections et des signes diacritiques en fonction, d'une part, d'une plus grande rigueur méthodologique (ce qui a entraîné la suppression ou la relégation en note de certaines conjectures peu assurées), d'autre part d'une base informative plus vaste (d'où l'addition ou la modification de certaines propositions).
La tâche était, je ne me le dissimule pas, périlleuse à un double titre : le Jeu n'existait qu'à l'état de fragment et, qui pis est, ce fragment est détruit. Ce dernier fait empêchait d'effectuer certains contrôles, possibles seulement dans un contact matériel avec le document. Le premier gênait considérablement la bonne marche de l'analyse, notamment en matière linguistique : dans ce domaine, aucune conclusion péremptoire ne pouvait être tirée d'un texte aussi bref, où les traits d'auteur certains sont rares.
Ces deux obstacles ne m'ont cependant pas paru suffisants pour interdire la réalisation d'un travail qui répond à un voeu plusieurs fois formulé et qui voudrait faire connaître et comprendre, aussi complètement que possible, ce représentant, un peu insolite peut-être, de l'activité théâtrale dans la Belgique romane médiévale. Car, au-delà de toutes les hypothèses, une certitude subsiste : qu'il soit d'origine mosane ou hennuyère, le Jeu de l'Étoile a été copié à Liège et il constitue, à ce titre, un témoignage supplémentaire et non dénué d'intérêt, en raison de ses caractères distinctifs de la vitalité du théâtre, de l'intérêt pour la Nativité et de la vie culturelle dans la cité épiscopale au XVe siècle.
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