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Quelque chose s'étira à la surface de la tête de Bass-Bassina-Boulou. Des cercles jaunes et bleus s'éloignaient en flottant. Il éprouvait une douleur aiguë un peu plus bas que l'endroit qui venait de s'ouvrir de deux côtés à la fois, et il commença à voir et à sentir. Il aperçut un homme qui tenait dans la main une chose dont l'aspect lui fit peur. L'homme se dressa tout à coup, se mit à sauter en agitant les bras, criant :
Il vit! Il vit! Loué soit l'être jeune qui n'a pas de commencement. J'ai brûlé sa bouche avec la tige de fer rouge et la vie lui est venue!
Ces paroles étaient alors dépourvues de sens pour Bass-Bassina-Boulou. Son maître lui apprit plus tard ce qu'elles voulaient dire. Il lui expliqua aussi comment les yeux en s'ouvrant jettent devant eux des cercles de différentes couleurs, qui vont accrocher les objets et les ramènent dans la vue.
Lorsqu'il eut fini de gambader, l'homme s'approcha de la forme en bois de manguier à laquelle il venait de communiquer la vie. Bass-Bassina-Boulou se sentit tout à coup balancer. Les lignes et les couleurs qu'il commençait à entrevoir se mirent à bouger autour de lui, à tourner, à s'allonger. Puis chaque chose reprit sa place. Il lui sembla qu'il était fixé cette fois pour toujours. L'homme seul remuait encore tout entier. Il s'éloigna et revint avec un objet brillant qu'il levant devant les yeux de Bass-Bassina-Boulou, et pendant quelques instants il demeura ainsi immobile.
Je t'ai posé dans un endroit élevé de la hutte, où aucune main n'osera t'atteindre, annonça-t-il d'une voix toute différente de celle de tantôt. Tu es dieu. Cependant, apprends à connaître ton image afin de devenir maître de ta propre force.
Comme Bass-Bassina-Boulou jetait les cercles de ses yeux sur l'objet brillant placé devant lui, il aperçut dedans une chose toute proche, compliquée, de formes curieuses. Il remarqua que ces formes étaient les mêmes, mais plus petites, que celles qui composaient l'ensemble de son maître ; quelques-unes pourtant paraissaient autrement disposées. Le maître avança la main : Bass-Bassina-Boulou la vit en même temps près de lui et dans l'objet qui brillait. Il sentit un doigt sur son corps et vit qu'il était posé au même instant contre une partie du corps immobile qu'il apercevait devant lui.
Ceci est ta main, dit-il. Tu sentiras par là que la matière existe, dure, molle, douce ou rugueuse. Ceci est ta bouche, que j'ai brûlée afin de purifier tes plus bas désirs : c'est par là que sort la parole et que va la nourriture qui se transforme en feu à l'intérieur du corps. Ceci est ton nez : il prend par ses deux trous les odeurs. Ceci est ton oreille : tu en possèdes une de chaque côté de ton visage, et c'est par là que tu entendras les bruits et les paroles qu'il faut retenir. Et ces deux cercles allongés, ce sont tes yeux capables de voir tout ce qui remue et ce qui est privé de mouvement; mais tu sauras que la pierre même est vivante.
Le maître apprit ensuite à Bass-Bassina-Boulou la signification de chacune des parties de son corps. À mesure qu'il parlait, Bass-Bassina-Boulou se sentit rempli d'une grande peur, parce que tout ce qu'il voyait devant lui demeurait immobile, tandis que les parties correspondantes de son maître pouvaient changer de place.
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