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Fernand Severin. Le poète et son art
de Élie Willaime

Élie Willaime : Fernand Severin. Le poète et son art

Genre : Essai
Format : 14,5 cm x 20 cm
Nombre de pages : 312 p.
Date de publication : 1941
Prix : 12,40 €

À propos du livre (Texte du 1er chapitre intitulé «Enfance et adolescence» de l'Introduction)

Parmi les souvenirs auxquels se plaisait un poète si peu prodigue de confidences, on ne saurait négliger ceux qu'il évoquait en nommant la ferme de Pinteville, «isolée au milieu des campagnes, à un quart d'heure du village de Grand-Manil dont elle dépend».

François Severin, né à la ferme de Bovesse, avait amené à Pinteville Elisa Duvieusart, dont les parents étaient établis à Frasnes-lez-Gosselies. C'est de leur union que naquit l'auteur de la Source au fond des bois, le 4 février 1867, au cœur de la Wallonie, dans un pays fertile en même temps que d'une discrète beauté… Lui-même — avec raison, et bien qu'il ait lu beaucoup Taine — protesterait sans doute si l'on voulait trop y insister : pourtant il aimait à souligner ses origines, lui dont «les ascendants paternels et maternels furent tous wallons, et, pour la plupart, grands fermiers dans la région de Namur et Fleurus».

Son père était doué d'une belle et riche nature. Si la vie devait bien le meurtrir, chaque épreuve, chaque disgrâce de la Fortune le retrouva l'âme forte, le coeur rempli de bonté, d'illusion et d'indulgence. Avec leur aîné, les autres enfants (Gabrielle et François) gardèrent de lui un souvenir plein d'affectueuse vénération.

Quant à la mère du poète, elle lui présenta la première le visage de la douceur et de la tendresse, entourant d'un dévoue-ment sans bornes cet enfant «comblé de tristes dons». De santé fragile, et morte jeune, elle lui légua, avec ses grandes qualités de cœur, sa complexion délicate et sa mélancolie…

La simplicité des évocations n'empêche pas d'entrevoir une atmosphère malgré tout privilégiée : «Mon excellent et malheureux père est pour moi un idéal de bonté et de franchise… Je garde de ma mère — ma jeune mère —, un souvenir enchanté.»

L'enfance de Fernand Severin commençait donc merveilleuse, champêtre à souhait, mêlée à l'activité de la ferme. Comme le poète devait toujours se la rappeler! «Plus j'y pense, disait-il, plus je trouve que mon enfance fut délicieuse. Le cycle des travaux rustiques, toujours renouvelés, se déroulait sous mes yeux ingénus.» Sans doute l'idéalisera-t-il dans ses souvenirs :

Tu t'en souviens! C'était l'enfance de Virgile!
Un long rêve devant de nobles horizons…

Mais ces larges horizons encadrent un paysage à la tonalité un peu neutre, — comme celle des tableaux de Claude Lorrain ou de Corot, — où ne manquent pas les ormes bordant les grandes routes, un paysage à l'accent, en effet, virgilien et qui a marqué de sa pureté l'oeuvre du poète.

En âge d'école primaire, et à cause de l'éloignement du village, l'enfant fut mis en pension chez l'instituteur de Grand-Manil. Il revenait souvent et passait ses dimanches à la ferme paternelle. Il se révéla un élève docile, studieux et ponctuel. Les jeux bruyants le retiennent un peu parmi ses petits cama-rades qu'il aimait et auxquels il garda un souvenir attendri. Mais ces premières années, malgré tout solitaires et libres, le replient sur lui-même; un monde à lui constitue déjà son jardin secret.

Et voici qu'un jour de pluie, en février 1875, alors qu'il était à l'école, vers 10 heures, un domestique vint le chercher. Ce fut un retour silencieux… Il vit, en arrivant, des servantes affairées qui le conduisirent auprès du lit où sa mère reposait, morte, entourée de linge si blanc… Le choc ne dut pas être violent : il avait à peine huit ans; ce fut comme une acceptation, chez cet enfant à la fois songeur et résigné, joyeux et mélancolique, d'un peu plus de mélancolie. Il garda, de cette mère qui «souffrit la passion des bons», une vision inoubliable :

La mère, étrangement souriante et malade,
Emmène vers les champs, qui sont faits pour ses yeux
Dans une douloureuse et lente promenade,
Un enfant doux comme elle et trop tôt sérieux.

Les rêveries et les jeux reprennent peu à peu, mais désormais sans la bonté vigilante de celle qui étreignait «longuement cette tête enfantine». La vie s'ouvrait trop tôt pour l'orphelin, qui trouva pourtant une seconde mère attentive en la personne de sa tante, Mathilde Duvieusart, que son père épousa quelques années plus tard.

L'école primaire terminée, et selon une tradition établie pour les garçons de la famille, Fernand Severin fut envoyé à Aix-la-Chapelle, comme pensionnaire de la Domschule. Un certificat du mois d'août t879 témoigne de son application et de l'excellence de ses études. Il s'initie non seulement à la langue de Virgile qui deviendra un de ses auteurs de chevet, mais aussi à celle des poètes allemands qu'il devait aimer : Goethe, qui fut pendant longtemps, et bien avant Racine, son auteur favori, Schiller, Hebbel, sans compter les petits romantiques que, plus tard, il traduira ou dont il s'inspirera.

Après ce séjour de deux ans à l'étranger, l'adolescent se retrouve, à l'automne de 1880, au collège Notre-Dame de la Paix, à Namur. Ce que furent alors ses études? Un «bulletin» retrouvé nous l'apprend. Sous la direction des Jésuites, il fit de fortes humanités, devint un bon latiniste. Une culture classique solide achevait de marquer le caractère du jeune homme, bridant, en les échauffant peut-être, les premières fortes impressions que la découverte des poètes plus modernes, les roman-tiques notamment, allait procurer à cette nature vibrante. La poésie lui fut, en effet, révélée par Lamartine. Il avait alors quinze ans. Il commence d'écrire des vers et s'intéresse au mouvement qui secoue les lettres belges.

Ces faits ne sont pas sans importance dans une éducation si sérieuse, si latine, en même temps que discrètement religieuse. Il lit beaucoup, et au hasard, avec passion, les poètes. Il ne néglige pas les Belges, bien que ne leur accordant qu'une lecture hâtive. Il devait exalter bientôt «Van Hasselt, De Coster, Pirmez, Lemonnier, maîtres en splendeur poétique, en exquise sentimentalité, en vigueur saine et wallonne». Des œuvres si différentes — fond et forme — l'enchantent. Il ouvre la Divine Comédie dont, plus tard, il connaîtra par cœur des pages entières. Il envie la splendeur ferme de Leconte de Lisle; Hugo le ravit et il aimera de le lire en pleine campagne ensoleillée, comme pour former sa «voix d'or» à ces sonorités éclatantes, mêlant ainsi déjà, dans l'amour de la Beauté idéale, la beauté des vers, celle de la nature et le songe de la beauté féminine entrevue. Lamartine, pour un temps, est un peu oublié : il n'acceptera d'ailleurs jamais sa philosophie nébuleuse pas plus qu'il n'est amoureux de philosophie pure.

Enfin il commence à subir lui aussi l'influence de Baudelaire, qui lui fait entendre des accents d'authentique poésie.

Celui qui allait apparaître «comme le poète de l'inquiétude, arrive à l'adolescence, dit G. Rency, au moment où la mode est aux négations métaphysiques… Mais, tout de suite, il souffre d'un manque de stabilité, de certitude et d'équilibre.» Tel il apparaît bien au sortir du Collège N. D. de la Paix, dont l'atmosphère rôdera autour de lui, même quand s'éteindra la foi dans un christianisme dogmatique.

C'est alors qu'il vint vivre à Bruxelles, la grande ville aux vains plaisirs vomis par Baudelaire et, en Belgique, par Iwan Gilkin. Bientôt F. Severin chantera de semblables tourments, mais comme dans des brouillards de rêve où transparaîtra sa «virginité d'âme». «Je ne suis pas matérialiste, écrira-t-il un an avant le Lys, malgré que ce soit de bon ton aujourd'hui... Vous devinez qu'un certain genre me déplaît : celui dont l'âme est absente.»

À Pinteville, la deuxième femme du père est morte, après trois ans et demi de mariage. La famille du poète vient se fixer à Zuen (commune de Leeuw St Pierre) au début de 1884; et c'est ainsi que F. Severin achève ses humanités à l'Athénée royal de Bruxelles.

Il y arrive en rhétorique, «grand, maigre, dégingandé», en octobre 1884, «précédé d'une réputation de fort en thème» et surtout de jeune poète, «auteur de 3000 vers» et bien décidé à en commettre d'autres… Grand liseur, il est bien informé des courants qui sillonnent le réveil littéraire et il n'est pas moins résolu, avec une ambition candide, à y jouer son rôle. Il s'exerce fébrilement. Il transcrit, notamment, dans un carnet à couverture de moleskine noire, un poème épique l'Enfer, une Divine Comédie en 7 chants. G. Garnir devait en publier quelques vers, en 1925, à la stupéfaction un peu courroucée du poète :

Dieu te garde, lecteur, de la tentation…

Mais ce sont là des exercices, à la veille des préludes. Il a dix-sept ans. À vingt et un ans, il sera salué, en Belgique et en France, comme un poète délicieux et profond, dans les vers duquel vit «un homme de passion et de noble souffrance».

Entretemps, il poursuit ses études à l'Université libre de Bruxelles. Il réussit, en 1886, les deux épreuves de candidature en philosophie et lettres (philologie classique). Puis, sans doute en grande partie sur les instances de son père, il change de voie : on le trouve inscrit à la Faculté de Droit jusqu'à l'année académique 1888-1889. Il semble donc qu'il ait suivi, trois années durant, les cours de cette faculté; mais nulle trace de ses examens ne subsiste. Enfin, il reprend les cours de philosophie et lettres, subit l'épreuve de 1er Doctorat, le 6 mars 1890, et est reçu Docteur, avec grande distinction, en juillet 1891.

Dès son entrée à l'Université, il fait ses premières armes dans les revues, qui, jeunes elles-mêmes, l'accueillent avec empressement. Pour une dizaine d'années, l'enthousiasme déborde, et la foi en lui-même. Il ne connaît encore personnellement aucun des «Jeune Belgique». La poésie rêve en lui. Mais cette âme lucidement romantique va se heurter bien vite à la tyrannie des modes et des écoles. L'outil déjà se trempe. Le nouveau poète sera très vite et résolument lui-même.

Lire un extrait

I. — IMAGINATION ET SENSIBILITÉ

A) Une poésie de l'âme

De la lecture de Severin, on sort comme d'un long silence au cours duquel on s'est replié sur soi-même, détaché des contingences, pour écouter en soi murmurer une âme. œuvre entière, du Lys renié à la Source au fond des bois, laisse une impression de nostalgie; on la quitte à la fois purifié d'égoïsme terre à terre et isolé dans un monde de raffinements et de contemplations. On se sent haussé, mais centré. Autour de soi, l'univers s'est rapetissé, vu de loin, c'est-à-dire du dedans de l'être. La nature semble s'être réduite, quintessenciée. Des hommes, nul souvenir. L'Amour, jusqu'à la Solitude heureuse, s'est assis à nos côtés noblement, insaisissable et proche. Mais d'un bout à l'autre, le coeur s'est ouvert, l'âme a parlé…

La poésie de Severin, c'est bien un chant intérieur, un murmure, une plainte ou une extase, les yeux fermés. Les poèmes du Lys, c'était déjà cela, moins abstraitement, plus charnellement. L'œuvre autorisée s'est elle-même comme purifiée; mais le champ visuel ne s'en est pas agrandi, bien qu'il y paraisse dans la Source au fond des bois. Car, pour le lecteur, et du point de vue de l'émotion, le champ poétique est rétréci : celui que Severin invite à contempler simplement la nature et les cieux, s'il le suit, continue avant tout de l'écouter, lui, le Poète, et de se chercher, de se découvrir en lui. Il termine ainsi, aux confins du réel, les étapes d'un rêve dont il fut le centre.

Qu'est-ce à dire sinon que le créateur de cette œuvre a proposé à son lyrisme le cœur plutôt que le monde et que les autres hommes, l'esprit plutôt que la matière, l'«ineffable» de préférence au saisissable ou à l'imaginable, aux harmonies de l'univers, aux chimères du Passé ou de l'Avenir? Ce poète-là exalte le cœur et le replie sur lui-même. Noble égotisme où se reflète le souvenir des choses, où viennent mourir les passions humaines, mais où persiste leur essence : la poésie de Severin est vraiment essentielle…

Nous l'entendons bien : elle ne projette pas vers des visions, ni ne requiert par les images. Cependant nulle n'a plus d'attaches avec la vie, avec la nature, n'est plus fondue en elles, ne les suggère davantage, sinon celle de Lamartine, du Lamartine des Méditations et non du Lamartine des Harmonies. Le cri de l'auteur du Lac :

Objets inanimés, avez-vous donc une âme…,

c'est celui de Severin :

Quels occultes liens nous unissent au monde!

Mais avec une différence : c'est que Severin, lorsque lui aussi voudra ajouter des cordes à sa lyre, ne dépassera guère le stade de la sensibilité. Sa poésie ne s'élargira pas. Au contraire, elle s'anémiera au fur et à mesure que les sensations se déchargeront de leur potentiel lyrique. Elle s'épurera, se clarifiera; mais elle restera identique dans sa source : le cœur, l'être entier réagissant, selon un mode unique de l'imagination, au branle du désir ou de la pensée, ou bien encore aux excitations extérieures.

Table des matières

LA VIE ET L'ŒUVRE

ENFANCE ET ADOLESCENCE

LA CARRIÈRE POÉTIQUE

LE SILENCE

LIVRE I : LE POÈTE ET SON IDÉAL ARTISTIQUE

I. IMAGINATION ET SENSIBILITÉ
A) Une poésie de l'âme
B) L'organisation sensorielle
C) L'aide à l'imagination

II. LES LUTTES D'UN POÈTE.
A) L'étrange science
B) Un idéal d'expression
C) L'abandon d'un thème
D) Le poète naturiste et ses faiblesses

III. L'IDÉAL POÉTIQUE
A) L'inspiration
B) Les «arts poétiques»

LIVRE II : L'ART DE LA COMPOSITION

I. LA GENÈSE
Les révélations des manuscrits

II. L'ATMOSPHÈRE
A) Sincérité confidentielle
B) Gravité mélancolique
C) Chaleur communicative
D) Immatérialité

III. LA COMPOSITION.
A) Évolution vers la clarté
B) Unité du poème

IV. L'ART DESCRIPTIF.
A) Les portraits
B) Les paysages
C) Les images

LIVRE III : LA TECHNIQUE VERBALE

I. LES DÉBUTS POÉTIQUES.
A) Premières influences
B) La marque personnelle

II. LA LANGUE
A) Le vocabulaire.
a) Son étendue
b) Ses caractères
c) Vocabulaire inspiré par le sentiment de la nature .
B) La phrase
a) Une construction classique
b) Les formes lyriques

III. LA VERSIFICATION.
A) Les schémas poétiques
B) Les mètres
C) La rime
D) L'harmonie du vers

CONCLUSION : UN CLASSIQUE DE L'ÂME

Un classique de l'âme

BIBLIOGRAPHIE


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