Biographie
C’est en Afrique, à Lovanium, que naît Anne Carlier, dans une famille d’universitaires néerlandophones. Commençant sa carrière de professeur à Lovanium, son père, ingénieur agronome et botaniste, se rattache vite à la Faculté des Sciences et s’oriente vers la biochimie, ce qu’il approfondira aux États-Unis. Sa mère, après des études de philologie classique et d’orientalisme couronnées par une thèse de doctorat, se trouvant à la tête d’une famille de six enfants, se consacra à leur éducation.
Les quatre premières années d’Anne Carlier, passées au Congo, lui permettent de s’initier au français à l’école maternelle. Ensuite, ce sera le retour en Belgique, suivi par des études secondaires à Louvain. Le milieu familial, partagé entre sciences exactes et intérêts philologiques et anthropologiques, explique peut-être son hésitation en abordant l’université. D’abord tentée par la médecine, mais se sentant privée d’une approche plus humaniste, elle prendra, après quelques semaines, le chemin de la philologie romane.
Après sa licence achevée en 1983, à la KULeuven, elle entreprendra sous la direction du professeur Ludo Melis une thèse de doctorat (Les Articles et l’interprétation générique du syntagme nominal) qu’elle soutiendra en 1992. Entre-temps, elle sera assistante à temps plein aux facultés Notre-Dame de la Paix (depuis, Université de Namur) durant six ans au cours desquels, elle publiera déjà un Guide bibliographique analytique et critique de linguistique générale et française (1987). Ensuite, après de brefs passages par les Universités d’Anvers et de Gand, elle s’orientera définitivement vers la France, en 1993, pour devenir maître de conférences à l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis.
Cette première étape en France lui permet de manifester de plus en plus nettement ses qualités de pédagogue et de professeur-chercheur. La jeune Université de Valenciennes va aussi profiter de ses talents d’organisatrice. Elle développe le domaine linguistique dans une faculté de lettres vouée surtout à la littérature, un travail déjà reconnu par plusieurs promotions en tant que maître de conférences. Cela ne l’empêche pas de produire de nombreux articles ou chapitres de livres annonçant ses intérêts prioritaires que deviendront, au fil des années, les études diachroniques (ainsi, Les Articles du et des en synchronie et diachronie, en 2000).
Sa démarche scientifique, initialement centrée sur la syntaxe et la sémantique du français moderne, l’amène à constater que certains faits, paraissant irréguliers ou inexplicables à la seule lumière de la synchronie se clarifiaient si on les resituait au sein d’une évolution historique. Cette réflexion déterminera désormais tout son parcours de recherche. Il s’agira d’expliciter comment la grammaire se crée et se recrée (processus de grammaticalisation) à travers les restructurations de la syntaxe et de la morphosyntaxe dans l’évolution du latin au français moderne.
Il en résultera des articles importants comme From Preposition to Article: The Grammaticalization of the French Partitive (2007) où est analysé le développement de l’article dit «partitif». En collaboration avec Bernard Combettes, Anne Carlier aborde, dans Typologie et caractérisation morphosyntaxique : du latin au français moderne (2015), les changements typologiques qui transforment la langue du latin au français, notamment le passage d’un ordre SOV (sujet objet verbe) à un ordre SVO en français, ce qui va de pair avec une rigidification progressive de l’ordre des mots.
Dans une autre étape de la réflexion diachronique, Anne Carlier, cette fois en collaboration avec Béatrice Lamiroy, aborde une nouvelle dimension, celle de la linguistique comparée des langues romanes dans The Emergence of the grammatical paradigm of nominal determiners in French Romance: comparative and diachronic perspectives (2018). Cet article approfondit une analyse déjà entamée précédemment, en 2012, sur les rythmes évolutifs respectifs des langues romanes par rapport au latin. Il y est principalement question de l’apparition de la détermination nominale en français, inexistante en latin, en comparaison avec l’italien et l’espagnol.
Cela illustre la fécondité d’une recherche croisant diachronie et comparaison entre langues génétiquement proches. On constate que l’italien et, mieux encore l’espagnol, montrent des formes correspondant à des étapes historiques du français, langue romane qui s’est le plus éloignée du latin. Cet article confirme la préoccupation philologique d’Anne Carlier : l’analyse se fonde sur la traduction d’un texte latin en ancien français et en français moderne, en parallèle avec les traductions en italien et en espagnol du texte en français moderne. Ces exemples ne constituent que des échantillons d’articles comportant généralement entre 25 et 40 pages, soit de quoi constituer la matière de plusieurs livres.
La préoccupation philologique reste une priorité pour Anne Carlier. Ainsi, elle va participer à l’enrichissement de corpus électroniques en collaborant à la Base de français médiéval incluant la plupart des premiers textes en prose et un choix de textes en vers, ce qui l’amènera à étendre la base au latin tardif se rapprochant de la langue parlée. Il en résultera un grand projet franco-bavarois Palafra (Passage du latin au français : constitution d’un corpus numérique latino-français), commencé en 2015 et achevé récemment.
Ces réalisations n’ont pu se concrétiser que par certains soutiens et notamment grâce à une délégation au CNRS durant un an, constituant une reconnaissance de la qualité des projets et travaux entrepris. À cela s’ajouteront une élection comme membre du CNU (Conseil national des universités) de 2003 à 2017 et la qualité de membre du HCERES (Haut conseil de la recherche et de l’enseignement supérieur).
Professeur à la Sorbonne depuis 2018, elle sera élue en 2019 à l’Académie royale de langue et de littérature françaises.
– Jean Klein
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Communications
Discours de réception (séance publique du 10 octobre 2020)
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