Biographie
Né le 4 mars 1869 à Coïmbre, au Portugal, Eugénio de Castro est le fils du doyen et directeur de la Faculté de mathématiques de l'université. L'enfant fait preuve d'une attirance très précoce pour la littérature. Dès l'âge de sept ans, il lit de la poésie et compose des pièces de circonstance; il apprend aussi le latin. À dix ans, il traduit des fables d'Ésope en portugais, tout en se passionnant pour Lamartine, Musset et Victor Hugo. En 1984, la mort de son frère le pousse à écrire une suite de six sonnets, Cristalizações da morte. C'est sa première publication. Le style est traditionnel, comme il l'est dans les quatre recueils qui voient le jour entre 1885 et 1888.
Eugénio de Castro obtient un doctorat en lettres à Lisbonne. Pendant une courte période, il est tenté par une carrière diplomatique : il fait partie de la légation de son pays à Vienne. Il devient professeur à l'École industrielle de sa ville natale. Dès 1888, il est en relation avec les milieux symbolistes français; il admire Verlaine. La parution d'Oaristos (1890) suscite le scandale au Portugal par les accents de nouveauté que la critique y découvre. La poésie portugaise est enfermée à cette époque dans un système rigide, marqué par une esthétique austère et un traditionalisme routinier. Dans la préface d'Oaristos, de Castro explique ses innovations et défend la liberté du rythme. Il se réclame de Vielé-Griffin et de Moréas, introduit l'usage du rondeau et le procédé de l'allitération.
De 1891 à 1894, il est à Lisbonne, où il entame une carrière journalistique dans des feuilles locales et fréquente la haute société. Il publie plusieurs recueils (Horas, 1891; Silva et Interlúnio, 1894) dans lesquels il accentue le caractère symboliste. Il fait paraître aussi son unique uvre en prose, Belkiss, histoire romancée de la reine de Saba. Dans ce récit exotique, il recourt à un vocabulaire extravagant et baroque.
Avec son ami Manuel da Silva Gaio, il fonde en 1895 la revue Arte qui accueille la collaboration de nombreux écrivains français, de Jules Renard à Pierre Louÿs, de Verlaine à Boylesve. De fréquents séjours à Paris donnent à de Castro l'occasion de bien connaître les milieux littéraires parisiens; il entretient avec ses amis symbolistes des correspondances suivies. Sa poésie se retrouve dans des revues françaises, notamment dans les Entretiens politiques et littéraires, l'organe de défense du vers libre de Vielé-Griffin et de Henri de Régnier, ou dans Les Ibis de Tristan Klingsor, qui ne devait connaître que quatre numéros, ou encore dans Les Écrits pour l'art de René Ghil, ce qui lui vaudra un différend, rapidement aplani, avec Vielé-Griffin. Un banquet est organisé en son honneur à Paris en 1896.
Eugénio de Castro a des détracteurs dans son pays. Ils lui reprochent ses excès de liberté stylistique. Cette levée de boucliers est sans doute à l'origine du renouveau qui s'installe dans son uvre à partir de 1895. Tiresias, un court poème qui paraît cette année-là, est de forme moins audacieuse, ce qui a fait dire à la critique que l'écrivain n'avait pas vu dans le Symbolisme une fin en soi de son art personnel, mais qu'il s'en était servi comme d'une phase nécessaire pour sa propre évolution vers le classicisme.
Dans la production d'Eugénio de Castro, on distingue généralement quatre périodes : celle de la première manière, traditionnelle, suivie des audaces symbolistes. La publication de Constança (1900) ouvre la troisième période. Il s'agit d'un poème narratif racontant les amours tragiques et illégitimes d'Inès de Castro avec l'infant Don Pedro du Portugal, au XIVe siècle. Constance, c'est l'épouse abandonnée, dont le poète décrit avec sobriété le chagrin et la résignation. Le style est ici dégagé de toute influence symboliste; les sept chants sont écrits dans une langue pure et classique, sans excès de forme ou de recherche.
Désormais, le poète abandonne la pratique du vers libre et les uvres qui vont suivre seront empreintes de sérénité; Eugénio de Castro s'engage définitivement dans une voie néo-classique. A Sombra do quadrante (1906), dédié à Unamuno, s'attache à la fugacité du temps ; le seul refuge ne peut être que l'art qui ouvre la perspective de la beauté éternelle. L'année suivante, 0 Anel de Policrates, baigné d'hellénisme, amplifie l'idée de la sérénité de l'uvre artistique qui efface l'aspect éphémère de la vie.
Eugénio de Castro n'a pas abandonné l'enseignement. Il y joint une importante activité de conférencier. On le retrouve à Madrid ou à Grenade aussi bien qu'à Bordeaux ou à Strasbourg. Il continue à publier régulièrement des recueils dans la veine néo-classique; on citera, parmi une douzaine de volumes, 0 Filho prodigo (1910), Camafeus romanos (1921) et Eclogas (1929). Une édition complète de sa production poétique paraît en dix volumes.
Nommé professeur de littérature française à la Faculté des lettres de l'Université de Coïmbre, il devient en 1930 directeur de cette même Faculté. L'année précédente, il a été reçu docteur honoris causa de l'Université de Lyon. Déchiré par des deuils familiaux, Eugénio de Castro se tient de plus en plus à l'écart de la société. Collectionneur passionné, il rassemble tableaux, meubles précieux et objets rares dans la maison qu'il occupe dans sa ville natale.
Élu membre de l'Académie des sciences du Portugal, élevé au grade de commandeur de la Légion d'honneur par le gouvernement français, il reçoit l'hommage de Paris en 1936 sous la forme d'une exposition à la Bibliothèque nationale. Le poète portugais meurt à Coïmbre le 17 août 1945. Il avait été élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises le 9 février 1935.
– Jean Lacroix
Bibliographie critique
- Henry de Paysac, Eugénio de Castro et Françis Vielé-Griffin. Une amitié symboliste, Coimbra, 1983, (tiré à part du Boletim da Biblioteca da Universidade de Coimbra n°38, 1983).
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