Biographie
Mircea Eliade naît le 9 mars 1907 à Bucarest, où son père est capitaine dans l'armée roumaine. Il fait ses études primaires et secondaires dans des écoles de sa ville natale. Très tôt attiré par la littérature et par l'écriture, il publie en janvier 1921 son premier texte : Comment j'ai découvert la pierre philosophale, un conte fantastique. Il écrit beaucoup: des nouvelles, des impressions d'escalade dans les Carpates et de croisière en bateau sur le Danube, des notices littéraires (c'est un lecteur insatiable), des articles dans des domaines aussi éloignés l'un de l'autre que l'entomologie ou l'alchimie babylonienne.
À dix-sept ans, Eliade écrit un texte autobiographique, Le Roman de l'adolescent myope, suivi de Gaudeamus. Ces souvenirs ne seront publiés et traduits en français qu'en 1992, six ans après sa mort. Ils éclairent ses expériences de jeunesse et ses aspirations profondes. Inscrit en 1925 en philosophie à l'Université de Bucarest, il en sort en 1928 avec une licence. Tout en collaborant très régulièrement au quotidien Cuvântul, il apprend l'italien, l'anglais, s'initie à l'hébreu et au persan. Il se rend en Italie, où il rencontre Papini, ainsi qu'en Autriche et en Suisse; il écrit sa thèse sur La philosophie italienne de Marsile Ficin à Giordano Bruno. Attiré par la spiritualité hindoue, il obtient une bourse d'un maharadjah et part pour Calcutta où il étudie le sanscrit, rencontre Tagore et devient un adepte fervent du yoga.
En 1931, Eliade rentre en Roumanie pour y accomplir son service militaire. Docteur en philosophie en 1933, il devient assistant à l'Université de Bucarest en logique et en métaphysique. Il présente à un concours un manuscrit inédit, Maitreyi, roman se déroulant en Inde, qui remporte le premier prix. Publié, le livre connaît un grand succès. Il se marie en 1934, voyage en Allemagne et en Angleterre, fait de nouveaux séjours en Italie et en Suisse.
Épris de mysticisme, influencé par le philosophe Nae Ionesco, qu'il revendique comme maître à penser, Eliade se laisse bercer par les discours nationalistes de l'extrême droite. Il rêve d'un renouveau intellectuel pour son pays. Ses travaux sont récupérés par des groupes racistes dont il refusera toujours de se désolidariser, malgré l'insistance du roi Carol II. C'est la période sombre de sa vie, à propos de laquelle il n'émettra jamais de regret; elle jette une ombre sur la pensée d'Eliade, par ailleurs d'une grande hauteur de vues et d'une indiscutable universalité. Il est emprisonné pour ses attaches extrémistes, puis libéré après quelques mois et envoyé à Londres en mars 1940 sous l'étiquette d'attaché culturel. Il occupe ce même poste en 1941 à Lisbonne, où il publie un ouvrage en portugais. Après la mort de son épouse en 1944, il s'installe sur la côte lusitanienne.
En septembre 1945, Eliade arrive à Paris où il donne un cours libre à l'École des hautes études et commence à écrire directement en français. Le contenu de son enseignement est centré sur l'histoire des religions, sujet qu'il travaille depuis plusieurs années et qui aboutira à la publication en 1949 du Traité d'histoire des religions et du Mythe de l'éternel retour. L'année précédente, il a fait paraître des leçons de Techniques du yoga.
À Paris, Eliade retrouve Cioran et Eugène Ionesco et fonde une revue des écrivains roumains en exil. En 1950, il se remarie. Il se lie avec Jung, Bachelard, Brancusi, Michaux, Benedetto Croce et Teilhard de Chardin. Ses publications vont se succéder, accompagnées de collaborations à de multiples revues. Citons, parmi les livres de ces années-là, Images et symboles, Forgerons et alchimistes et le roman Forêt interdite dans lequel Eliade, comme dans la plupart de ses uvres de fiction, part non négligeable de sa production, laisse libre cours à sa passion pour le fantastique.
Invité aux États-unis, Eliade y donne des conférences, puis accepte une chaire de professeur d'histoire des religions à l'Université de Chicago. Il partage désormais son temps entre son enseignement américain et des retours réguliers à Paris, où il donne des cours à la Sorbonne. Il répond aux invitations de diverses universités européennes, effectue des voyages, notamment au Japon, au Mexique et en Argentine et produit d'incessantes publications en plusieurs langues. Ses ouvrages sont traduits et réédités un peu partout. En 1961, il fonde avec Ernst Jünger une revue, Antaios, qui paraîtra pendant onze ans.
Des études et des thèses consacrées à sa philosophie commencent à voir le jour à partir de 1960 (on en dénombre à l'heure actuelle plus de trente). Eliade aborde les sujets les plus variés, du mystère des rêves au sens du sacré. Il fait autorité dans le domaine de l'histoire des religions. Des doctorats lui sont attribués par plusieurs universités, aux États-unis, en France et en Angleterre. En 1974, il achève le début de son Histoire des croyances et des idées religieuses qui paraîtra en l'espace de près de dix ans, en trois tomes. Des extraits de son journal sont traduits en français. En 1978, des entretiens avec Claude-Henri Rocquet retracent, dans L'Épreuve du labyrinthe, la vie et la carrière d'Eliade. C'est sans doute la meilleure introduction à son uvre monumentale. La même année, un hommage collectif lui est rendu par les Cahiers de l'Herne (une réédition existe en collection de poche). Deux volumes de mémoires, Les Promesses de l'équinoxe, en 1980, et Les Moissons du solstice, publiés après son décès survenu le 23 avril 1986 à Chicago, éclairent les soixante premières années d'une existence vouée tout entière à la compréhension de l'histoire sacrée de l'humanité, celle qui se déroule dans l'inconscient collectif à travers le langage des mythes et de la parole.
Mircea Eliade avait été élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises le 20 septembre 1975.
– Jean Lacroix |