Biographie
La famille Zelmanovic, dans laquelle David Gaatone est né en 1932, quitte la Tchécoslovaquie en 1919 et s’installe à Anderlecht où le père exerce la profession de restaurateur, à défaut d’être devenu médecin, rêve qu’il reporte tout naturellement sur son fils. L’entrée des troupes allemandes dans le territoire de la Belgique contraint les Zelmanovic, d’origine juive, à quitter le pays. Ils se réfugient d’abord en Normandie, puis dans le Sud-Ouest de la France. Mais les lois relatives au travail obligatoire contraignent le père, en 1943, à quitter la France pour l’Allemagne, où les siens perdent sa trace. Ce n’est qu’en 1978 que David Gaatone apprend qu’il est mort à Auschwitz.
Au cours des hostilités, David Zelmanovic trouve refuge dans une maison religieuse d’abord, puis chez un paysan de Marmande, où il vit sous un nom d’emprunt. En juin 1945, il rentre en Belgique et, alors que sa mère tombe gravement malade, il loge à Boitsfort dans le home de Miravalle qui accueillait les enfants juifs sans famille. Il reprend ses études à l’Athénée de Bruxelles et, en raison de l’irrégularité de son cursus scolaire, est obligé de présenter les épreuves des humanités gréco-latines au jury central. Il réussit les examens haut la main. Après un bref séjour aux États-Unis, qui le déçoivent, David fait son Alyah en 1950, s’installe donc en Israël et vit dans un kibboutz proche de la bande de Gaza. Il y apprend l’hébreu parlé et change de patronyme : à celui de Zelmanovic, il préfère celui de Gaatone, nom d’un fleuve côtier qui se jette dans la Méditerranée non loin de Saint-Jean d’Acre.
De 1952 à 1955, il accomplit son service militaire. Il est versé dans l’armée de l’air et reçoit pour mission d’inspecter quotidiennement les radios des avions. Cette tâche lui permet d’apprendre l’arabe et d’enrichir un bagage linguistique qui comprend déjà le français, le yiddish et l’hébreu. Ses obligations militaires accomplies, David Gaatone gagne sa vie en travaillant dans une usine qui fabrique des postes de radio et s’inscrit à l’Université hébraïque de Jérusalem où il entame des études en langue et littérature du français et de l’anglais. À la littérature, il préfère la linguistique et à l’anglais il préfère le français. Son mémoire de maîtrise révèle bien la pertinence de ses choix : il porte sur l’étude de la négation dans le Roman de Dolopathos, oeuvre qui tire en partie son inspiration du Roman des Sept Sages.
En 1962, David Gaatone devient assistant au département de français de son université puis, en 1962, il obtient une bourse du gouvernement français et vient suivre, à Paris, des cours en Sorbonne et à l’École pratique des hautes études. Il y côtoie des médiévistes prestigieux, comme Robert-Léon Wagner, membre de notre Académie, et Félix Lecoy. C’est sous la direction de Wagner qu’il prépare et soutient, en 1967, une thèse intitulée Étude descriptive du système de la négation en français contemporain. Il revient bientôt en Israël et partage son temps entre les universités de Jérusalem, de Haïfa et de Tel-Aviv. Mais sa notoriété le conduit dans de nombreux pays : il est invité notamment par l’Université de Montréal et par l’Université de Paris VIII.
Auteur d’un grand nombre d’articles et de comptes rendus très attentifs, Gaatone manifeste à la fois un grand esprit d’indépendance et un sens inné du concret. Ces qualités, il les met en oeuvre dans son ouvrage paru aux éditions De Boeck en 1998 : Le Passif en français. Il s’agit pour lui d’observer le fonctionnement d’un grand nombre de verbes et de phrases qui mettent en œuvre la voix passive afin de déterminer les tendances générales de cette construction en langue française. Mais d’autres sujets retiennent son attention : il consacre des travaux à l’usage des verbes impersonnels, des constructions pronominales, à l’ordre des mots. Ses études de lexicologie révèlent la finesse de ses jugements et la subtilité de ses analyses.
David Gaatone est élu membre étranger philologue le 8 mai 1999, au fauteuil 35, occupé précédemment par quelques-uns des plus prestigieux représentants de la philologie romane : Kristoffer Nyrop, Emmanuel Walberg, Arthur Långfors, Jean Pommier, Italo Siciliano et Jacques Monfrin. Dans son discours de réception, le regretté André Goosse expliquait, non sans une pointe d’humour, les raisons de l’intérêt de David Gaatone pour les phénomènes syntaxiques qui ont fait l’objet de ses principales études : «Les événements de votre enfance vous ont montré aux prises avec la négation et contraint à la passivité. Et voilà que vous consacrez une part notable de vos recherches à l’expression grammaticale de ces deux thèmes. Est-ce une obsession? Est-ce une revanche?»
Le même André Goosse a eu l’occasion d’être reçu par David Gaatone en Israël et de rencontrer plusieurs de ses disciples, qui tracent le portrait d’un professeur exceptionnel : exigeant sans être autoritaire, clair dans ses explications et volontiers spirituel dans ses commentaires. Une étudiante a même tenu un répertoire de ses bons mots, parmi lesquels cette appréciation taquine, nimbée d’humour : «La différence entre la Bible et Le Bon Usage, c’est que ce dernier n’a pas été dicté directement par Dieu; il l’a été sans doute, mais indirectement, et le copiste a fait des fautes.» Et, avec une profonde clairvoyance, André Goosse trace ce portrait fidèle de David Gaatone : «Votre curiosité intellectuelle est vaste et, depuis l’enfance, les livres vous ont servi de refuge dans les pires moments. En fin de compte, le trait fondamental de votre personnalité (…), c’est l’amour des mots, l’amour des langues, non seulement celles, nombreuses, que vous connaissez bien, certaines dès l’enfance, d’autres depuis moins longtemps (…), mais l’amour de toutes les langues, toutes fascinantes, même vues de la lisière, à laquelle vous êtes contraint, naturellement, de vous arrêter parfois. Cette passion se dit littéralement en grec, philologia.»
– Jacques Charles Lemaire
Bibliographie
- Étude descriptive du système de la négation en français contemporain, Genève, Droz, 1971.
- Le passif en français, Louvain-La-Neuve, De Boeck, 1998.
BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
- Hava Bat-Zeev Shyldkrot et Lucien Kupferman (dir.), Tendances récentes en linguistique française et générale. Volume dédié à David Gaatone, Lingvisticæ Investigationes Supplementa 20, 1995, xvi.
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Impromptus
Discours de réception (séance publique du 26 février 2000)
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