BiographieNé le 26 avril 1924 à Decazeville, petite ville de l’Aveyron qui doit son nom à Élie Decazes, industriel qui avait fondé une usine dans la localité, Jacques Monfrin accomplit ses études primaires et secondaires dans sa ville natale. En 1943, il devient à Paris élève de l’École nationale des chartes et suit les enseignements de la IVe section de l’École pratique des hautes études. Nommé archiviste paléographe en 1947, il assume la charge de bibliothécaire au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et participe, de 1947 à 1949 et de 1951 à 1952, aux travaux de l’École française de Rome.
En 1955, il est nommé chargé de cours de latin médiéval à l’Université de Paris IV et, à partir de 1974, il enseigne la philologie romane à la IVe section de l’École pratique des hautes études. Il dirige l’École nationale des chartes de 1976 à 1987, après en avoir été le secrétaire dès 1955, à l’invitation de C. Brunel. C’est grâce à son action que l’École acquiert le statut de «grand établissement» et s’équipe d’un matériel informatique important.
En marge de ses enseignements, il s’investit dans de nombreuses missions de recherche et de direction de collection d’ouvrages ou de revues. À l’Institut de recherche et d’histoire des textes, il dirige la section romane. Depuis 1963, il est membre résidant de la Société nationale des antiquaires de France et, en 1969, il devient membre du Comité des travaux historiques (section d’histoire et de philologie). À titre d’éditeur, il dirige la collection publiée par la Société des anciens textes français et, à partir de 1976, reprend le flambeau de la gestion de la revue Romania, la plus importante publication relative aux études philologiques médiévales du domaine français. Dès 1955, il collabore, avec Robert Bossuat, à la rédaction du Manuel bibliographique de la littérature française du Moyen Âge. Le Troisième supplément (1960-1980) de cet ouvrage réalisé en collaboration avec Françoise Vielliard et avec l’aide de la documentation apportée par les fichiers de la section romane de l’Institut de recherche et d’histoire des textes comporte deux tomes, parus en 1986 et 1991.
Dès ses premiers travaux de recherche personnels, Jacques Monfrin s’est intéressé aux questions relatives à la traduction. Sa thèse de l’École des chartes, dirigée par R. Bossuat et soutenue en 1947, a pour titre : Le Secret des secrets. Recherches sur les traductions françaises, suivies du texte de John Waterford et de Servais Copale. En 1955, il publie un inventaire critique des traductions d’auteurs anciens du XIIIe au XVe siècle. Il consacre ensuite divers articles à la réception et à la translation des œuvres antiques à l’époque de l’humanisme avec des contributions sur Guillaume Fichet (1955), sur Tite-Live (1958), sur les traducteurs français et leur public à l’époque médiévale (1964), sur l’intérêt de la cour de Bourgogne pour les lettres antiques (1967), sur l’influence de la littérature italienne en France au début de la Renaissance et sur l’humanisme en latin vulgaire dans la France du XVe siècle (1972).
Philologue, il s’est à la fois consacré à étudier la question des sources des œuvres littéraires et à éditer certains textes méconnus. Il examine les origines arabes de La Divine Comédie (1951), les fondements du Tombel de Chartrose (1957) et les divers textes fondateurs du Secret des secrets (1964). Comme éditeur, il révèle et examine de façon précise quelques fragments oubliés de La Chanson d’Aspremont (1958), du Breviari d’amor (1966), de La Complainte d’amours (1970) et de contes extraits du Recueil des Vies des Pères (1971). Son édition de l’Historia calamitatum d’Abélard est nourrie de commentaires savants qui soulignent l’intérêt primordial de cet ouvrage pour l’histoire des idées.
Intéressé par la codicologie et par les modalités de transmission des textes anciens, Monfrin a contribué à inventorier les oeuvres conservées dans plusieurs bibliothèques : La Bibliothèque Sanchez Muñoz (1964), La Bibliothèque de Francesc Eiximenis (1967) et La Bibliothèque pontificale à Avignon et à Peniscola (1991). À propos de l’édition des Mémoires de Joinville, il souligne l’intérêt de tenir compte des données codicologiques (et notamment de la décoration des manuscrits) pour parvenir à établir le texte le plus fidèlement possible.
Spécialiste au départ du latin médiéval et de la langue des chartes, il s’est bientôt attaché aux études de dialectologie. Il a publié des notes sur Villehardouin ou sur Guillaume IX de Poitiers (ce Méridional n’avait pas oublié le parler de ses origines occitanes), mais il a surtout mis en œuvre l’édition des Documents linguistiques de la France et de la Belgique romane dont l’introduction propose une opportune mise au point pour le travail des historiens de la langue et pour toutes les questions techniques posées par l’ecdotique des oeuvres françaises de l’époque médiévale.
Élu le 13 juin 1981 comme membre étranger au titre philologique par l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique au fauteuil 35, occupé précédemment par Kristoffer Nyrop, Emmanuel Walberg, Arthur Långfors, Jean Pommier et Italo Siciliano, Jacques Monfrin est reçu solennellement le 27 mars 1982 par Pierre Ruelle, qui a publié sous son égide les Documents linguistiques de la France et de la Belgique romane relatifs au Hainaut. L’année suivante, il est fait membre ordinaire de l’Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres. D’autres institutions académiques consacrent ses qualités de philologue et d’historien de la langue française : l’Académie royale des Sciences et Lettres du Danemark, la Real Academia de Buenas Letras de Barcelone et l’Accademia nazionale dei Lincei à Rome.
Décédé à Paris le 11 décembre 1998, il laisse le souvenir d’un chercheur dynamique et d’un excellent organisateur, curieux de toutes les facettes de l’histoire du français et en recherche de découvrir et de faire connaître «quelque authentique reflet des hommes du passé». – Jacques Charles Lemaire
|