BiographieItalo Siciliano naît à Reggio Calabria le 27 juillet 1895. Après de solides études secondaires, il s'inscrit à la Faculté des lettres de l'Université de Gênes, où il se montre élève brillant, se distinguant particulièrement en langue et en littérature françaises. Ses remarquables résultats le font désigner, le diplôme final obtenu, comme lecteur d'italien à l'Université de Grenoble (1920-1922). Le choix semble naturel : l'Alma mater isérane entretient des rapports privilégiés avec la Péninsule (elle gère notamment l'Institut français de Florence). Le jeune docteur, tout en assumant pleinement la tâche qui lui est assignée, entame une fructueuse carrière de chercheur qui le conduira, quelques années plus tard, à la publication de son uvre maîtresse sur François Villon.
On le retrouve, en octobre 1922, à l'École normale supérieure de Budapest. Dispensant son enseignement, il entend pénétrer la culture du pays qui l'accueille; il publiera en 1927 un volume consacré à la littérature magyare du XIXe siècle. Il reste plus de dix ans dans la capitale hongroise. Envoyé à Varsovie pour y créer l'Institut italien de culture, il assure un enseignement à l'université (1933-1935). En 1936, il fait un long séjour à Paris, professeur invité à la Sorbonne. Il rentre ensuite dans son pays, où la Faculté des lettres modernes de l'Istituto superiore di Ca' Foscari a proclamé la vacance de la chaire de langue et de littérature françaises. Il se soumet au redoutable concorso, à l'issue duquel cinq aînés l'envoient dans la cité des Doges, où il se fixe définitivement. Tout en se mettant résolument à la disposition de ses étudiants, il continue inlassablement son travail de recherche. Avant d'évoquer l'importante moisson engrangée, il convient de signaler d'autres charges auxquelles il sera appelé. Il remplit de 1953 à 1971 les fonctions de recteur de son Istituto, devenu entre-temps l'Université de Venise. Entre 1960 et 1963, il assure la présidence de la Biennale; en 1965, il prend celle du Centro di civiltà e di cultura à la Fondazione Cieni. Désormais, le septuagénaire, toujours alerte, est parfaitement intégré dans la ville de la Lagune, au point que l'on parlera d'un Siciliano veneziano.
Il poursuit avec constance son uvre de savant, commencée en 1934 avec la publication, à Paris, de son François Villon et les thèmes poétiques du Moyen Âge, sujet repris en 1946 dans Vita ed opère di François Villon et, en 1973, dans Mésaventures posthumes de Maître François Villon. On pourrait croire, à l'énoncé de ces titres, que Siciliano se voit confiné dans la littérature médiévale, qui, dans les universités italiennes, est toujours confiée aux titulaires de filologia romanza (entendez médiévisme), mais le champ d'investigations du francesista de Ca' Foscari s'étend bien au-delà des premiers siècles, même si l'historien des lettres fait de cette époque l'argument principal d'uvres marquantes, comme ce livre : Le origine delle canzoni di gesto (1941) dont une version française parait en 1951. Maurice Delbouille a rappelé que cet ouvrage dénonce les produits de l'optimisme méthodique, en approuvant le pessimisme méthodique, pratiqué par Bédier. Sicilano y condamne avec vigueur les épigones de Bédier, qui ont gauchi et dénaturé sa pensée.
Toujours dans le domaine médiéval, il va, après Bédier, s'intéresser à l'origine des chansons de geste, développant par la suite toute sa pensée dans Les chansons de geste françaises : mythes, histoire, poème (1968), où, dans la dernière partie, il analyse quatre grandes chansons. Il donne là, appliquant sa méthode historique, la juste mesure de son talent poétique, qu'on a déjà apprécié dans tant d'autres publications qui nous amènent jusqu'aux contemporains. En 1955, il publie son important Romanticismo francese da Prévost a Sartre, constitué de monographies sur les poètes qui ont marqué la période que le volume embrasse. On y accompagne Hugo et Claudel, Valéry et Gide, Nerval et Jammes, sans oublier les futuristes et les surréalistes, ces écrivains qui ont, au dire de leur commentateur, célébré à l'unisson le culte du moi. On sent dans la rigueur des développements que le critique se veut sévère à l'endroit de tout ce qui est hors mesure : il montre ce qui est accessoire, tout ce dont une philologie brouillonne entoure des textes poétiques en soi. Ce n'est pas que Siciliano rejette les évidences extérieures : pour lui, sans être déterminante, une uvre doit se situer dans son temps, en être le reflet. Parfois, dans le désir d'imposer son optique, il se montre polémiste ardent.
On devrait citer tant d'ouvrages qui révèlent la diversité, l'étendue des intérêts du recteur : on mentionnera les trois volumes du Teatro francese delle origini ai giorni nostri (1959). Mais on ne peut négliger nombre d'études, qui sont peut-être destinées à ouvrir l'esprit des étudiants en les éclairant sur des écrivains que leur maître commente, tels ce Théodore de Banville, au sous-titre révélateur : Dal romanticismo al simbolismo, qui fait face au plus tardif Racine e il classicismo francese (1934). Il faudrait aussi mentionner des monographies consacrées à Verlaine (1948) et à Baudelaire (1949). On se perdrait dans l'énumération de titres qui tous portent le sceau d'une information précise et d'un goût très sûr.
Siciliano était un orateur brillant, tant en français qu'en italien. Il pimentait son propos d'une pointe d'humour. Il nous souvient de l'allocution qu'il prononça à l'ouverture du premier congrès de l'Association internationale de littérature comparée (octobre 1955) qui fit l'objet d'une publication posthume : Nota sulla letteratura comparata. Siciliano veneziano n'oubliait pas que sa faculté avait été une des rares, si pas la seule, à posséder une chaire pour cette discipline. Elle avait été occupée par un des initiateurs, Alfredo Galletti.
Les honneurs ne lui ont pas manqué. Docteur honoris causa de l'Université de Grenoble et de la Sorbonne, il fut élu membre associé de l'Institut de France. L'Académie royale de langue et de littérature françaises l'appela le 24 novembre 1973. Italo Sicilano est mort le 20 septembre 1980. – Robert Van Nuffel
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