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Sylvie Germain

Sylvie Germain Membre étranger littéraire
Élue le 25 mai 2013
Prédécesseur : Dominique Rolin
Fauteuil 36

Biographie

Née à Châteauroux, le 8 janvier 1954, Sylvie Germain se voyait plutôt peintre ou sculpteur, peut-être même danseuse, mais, dès la fin du bac, la philosophie va lui tomber dessus et ne la lâchera plus. Une maîtrise, d’abord, sur L’Ascèse dans la mystique chrétienne, un DEA consacré à Watteau et Vermeer suivi d’une thèse de doctorat en Sorbonne sous la direction de Lévinas. On pourrait croire la carrière académique toute dessinée, d’autant plus que, pendant sept ans, elle vit à Prague où elle enseigne la philosophie. Mais ce serait sans compter l’écriture. Car c’est elle qui va l’emporter «pour ne pas fermer trop vite le champ des interrogations». Une écriture à travers laquelle la romancière parvient à faire se rejoindre ses différentes sources : la spiritualité, la mystique et la philosophie. Une démarche intellectuelle où romans et essais se succèdent et se répondent sans que le lecteur ait jamais l’impression de changer de pays.

Toute l’œuvre de Sylvie Germain ne cesse d’interroger le mal et de rejoindre la nudité du malheur. Il est frappant de voir le terrible combat qui s’y joue entre l’horreur et l’éblouissement. Une oeuvre bouleversée par la barbarie, hantée par l’inquiétude, et qui ose donner noblesse au plus ordinaire.

En 1984, lorsque paraît son premier roman, Le Livre des nuits, nous sommes en plein lyrisme, dans la jubilation du foisonnement. Un coup de tonnerre dans le paysage littéraire dira la critique de l’époque. Par la suite, Nuit d’ambre (1986), Jours de colère (1989), La Pleurante des rues de Prague (1991) et L’Enfant méduse (1992) ne seront pas en reste. Mais sans délaisser l’univers du fantastique, du mythique, du fabuleux, du légendaire, l’auteure va permettre de plus en plus à l’histoire d’entrer dans l’Histoire. Comme dans Immensités (1993), par exemple, où Sylvie Germain présente un petit monde d’hommes et de femmes marginalisés par la dissidence. Dans une ville de Prague toujours très présente, et à travers un foisonnement de personnages et de destins, tristesse et beauté se tissent et se retissent dans un récit poétique qui prend à la gorge. Éclats de sel, qui suivra en 1996, prolonge, à travers les tribulations de Ludvik, l’exploration d’une histoire désespérée, écrasée ici par la douleur de la trahison amoureuse. Des pages inoubliables lorsqu’on rejoint les innocents peupliers d’Auschwitz-Birkenau ou la fable hassidique des anges.

Est-ce parce que, petite fille, les mendiants l’impressionnaient tellement, les mendiantes surtout, que ses livres vont faire si large place à l’expérience des oubliés, des désespérés, des exténués de la pauvreté? Et n’est-ce pas à travers sa compassion pour les naufragés qu’elle va tenter de faire face à la violence de l’actualité? Ce sera le cas de Pierre, par exemple, dans L’Inaperçu (2008), d’Aurélien dans Hors champ (2009), ou encore de Lili dans Petites scènes capitales (2013).

Dans ses derniers romans, Sylvie Germain continue à faire se croiser le fabuleux et le réalisme des jours ordinaires pour donner à des vies d’apparence quelconque une dimension surprenante. C’est le cas de l’enfant sauvage qui traverse À la table des hommes (2016) et va découvrir, peu à peu, la complexité des conduites humaines, sans perdre son lien intime avec la nature et l’espèce animale. Même grâce mélancolique dans Le vent reprend ses tours (2019) à travers le voyage de Nathan vers l’ami saltimbanque rescapé de terribles épreuves, mais qui a su garder suffisamment de souffle pour ouvrir son compagnon à une vraie liberté.

Habitée, depuis la fin du secondaire, par la question de Dostoïevski — «Si Dieu n’existe pas, tout est-il permis?» — Sylvie Germain va traquer Dieu de livre en livre, jusqu’à ses derniers retranchements. Un Dieu de la nuit et de l’insupportable silence quand les génocides n’en finissent pas de se succéder. Un Dieu du tâtonnement et de l’errance, qu’on remarque à peine, comme Aurélien dans Hors champ (2009) ou comme Lili dans Petites scènes capitales (2013). Un Dieu de «l’absence positive» dont il est aussi beaucoup question dans Magnus (2005) où il prend surtout le visage inoubliable de frère Jean, une sorte de saltimbanque contemplatif qui jongle avec les abeilles. Ainsi, tout au long d’une création littéraire singulière et exigeante, Sylvie Germain part à cloche-pied à la conquête du ciel, à la recherche d’un Dieu aux pieds nus, mutique, blessé à la hanche, qui s’agenouille, le soir surtout du Jeudi Saint. Un Dieu fragile et suppliant qui demande à l’homme, un peu à la manière de Marguerite Yourcenar : «Reste avec moi quand le soir tombe.»

Quand le soir tombe, il arrive que la mort se déchaîne. Et pas que le soir. Car dans ce parcours romanesque, obscur et lumineux, les personnages peuvent violer, étrangler, couper les têtes… Mais l’auteure donne aussi toute sa place à cette mort intime que chacun porte en soi. Une mort qu’elle approche à pas de porcelaine, soucieuse, souvent, de relier les vivants et les morts. À commencer par ses propres morts auxquels elle rend hommage dans Le Monde sans vous (2011), à travers un voyage en Sibérie qui la conduira loin, très loin à l’intérieur d’elle-même.

Avec une vingtaine de romans et autant d’essais dont les remarquables Échos du silence (1996), Etty Hillesum (1999), Mourir un peu (2000), Ateliers de lumière (2004), Quatre actes de présence (2011) ou encore L’Esprit de Marseille (2018), Sylvie Germain a été couronnée par de nombreux prix littéraires dont le Femina en 1989 pour Jours de colère, le grand prix Jean Giono en 1998 pour Tobie des Marais, le prix Goncourt des lycéens en 2005 pour Magnus, le prix Jean Monnet de littérature européenne en 2011 pour Le Monde sans vous.

– Gabriel Ringlet

Bibliographie

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Communications

Discours de réception (séance publique du 31 mai 2014)



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