BiographieDominique Rolin naît à Bruxelles le 22 mai 1913. Son père, Jean Rolin, est directeur de la bibliothèque du ministère de la Justice. Sa mère, fille de l’écrivain naturaliste français Léon Cladel, est professeur de diction. Rapidement ce couple s’avère aussi invivable que remarquable, sombrant dans une violence dont l’œuvre de la fille aînée explorera les soubassements et les effets. Cette saisie du drame familial par éclairages successifs est déjà au cœur tant des premiers récits, publiés dans Le Flambeau et Cassandre, que d’un roman refusé par Gallimard en 1939 et détruit ensuite par la romancière. C’est en 1942, au plus sombre de la guerre et en plein enfer privé, que Dominique Rolin produit son premier chef-d’œuvre, salué avec ferveur par Max Jacob et Jean Cocteau. Publié par Denoël, roman à la fois onirique et d’une précision cruelle, Les Marais invente un lieu (une maison à l’orée de la forêt) et un groupe familial déchiré, éléments qui feront l’objet d’un étrange étoilement à travers les trente-neuf volumes qu’elle a publiés.
En 1946, elle s’installe définitivement en France et collabore, en tant qu’illustratrice, aux Nouvelles littéraires à Paris, où elle rencontre le dessinateur et sculpteur Bernard Milleret qu’elle épouse en 1955. Milleret meurt le 12 mars 1957. Ce choc produira, trois ans plus tard, un superbe roman : Le Lit, porté à l’écran en 1982 par la réalisatrice Marion Hänsel. En 1958, elle est élue membre du jury du prix Femina et rencontre Philippe Sollers qui, dans ses romans futurs, s’appellera Jim. L’histoire de cette relation amoureuse exceptionnelle sera racontée, avec force et délicatesse, dans Trente ans d’amour fou (1988) et dans Le Jardin d’agrément (1994). Son engagement aux côtés des protagonistes du Nouveau Roman, à partir des années soixante, est à l’origine de sa révolte contre le caractère sclérosé du prix Femina. Une vive polémique dans la presse aboutira à son exclusion, en 1964, ce qui ne l’empêchera pas, par la suite, de devenir membre d’autres jurys littéraires prestigieux. Le 11 juin 1988, Dominique Rolin est élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises où elle succède à Marguerite Yourcenar.
Après sa mort à Paris, le 15 mai 2012, des milliers de lettres d’amour échangées entre elle et Philippe Sollers, entre 1958 et 2008, furent acquises par la Fondation Roi Baudouin et déposées à la Bibliothèque royale, avec les trente-trois cahiers inédits de son journal intime. Un large choix dans cette correspondance, qui jette une lumière passionnante et très particulière sur la genèse et les enjeux des deux œuvres, a été publié chez Gallimard en quatre tomes (2017-2020), par les soins de Frans De Haes et Jean-Luc Outers.
Souvent déconcertante, mais d’une cohérence exemplaire, l’œuvre romanesque de Dominique Rolin connaît quatre phases essentielles. La première, qui va des Marais jusqu’aux Deux sœurs (1946), nous présente des romans dans lesquels s’opère une transposition romantique du drame familial : le décor est nordique, la perplexité flamboyante et les noms des personnages ont tous une résonance germanique sinon flamande; ensuite, après le départ à Paris, le ton change : un réalisme apparemment plus français prédomine, les personnages de L’Ombre suit le corps, Souffle (1952, prix Femina) ou d’Artémis portent des noms qui n’ont plus rien d’exotique, leur milieu social varie, mais le noyau familial et ses radiations restent souvent les mêmes. Dans la période cruciale qui suit 1960, marquée par le bouleversement de la conception et de la technique romanesques sous l’influence des expériences en cours à Paris (Tel Quel et le Nouveau Roman), Dominique Rolin retrouve sa mémoire propre, tout en la fragmentant au fil d’une écriture constamment présente à elle-même (La Maison la forêt, Maintenant, Le Corps, Les Éclairs…), allant ainsi jusqu’à inscrire son nom et celui des siens dans la texture même de ces magnifiques romans d’avant-naissance et d’outre-tombe que sont L’Infini chez soi (1980), Le Gâteau des morts (1982) et La Voyageuse (1984).
Ayant de ce fait subverti le pacte autobiographique traditionnel, Dominique Rolin poursuit un voyage romanesque très singulier au cours duquel des «fictions vraies» redistribuent et transfigurent à nouveau les récits de sa mémoire, en les mêlant à des versions imagées, «possibles». Pareille stratégie permet à la romancière de s’éloigner quelquefois du registre autobiographique (L’Enfant-roi, Vingt chambres d’hôtel), d’écrire de superbes essais (Un convoi d’or dans le vacarme du temps), de noter ses rêves avec une étonnante franchise (Train de rêves) ou d’inventer un somptueux monologue intérieur du peintre Pieter Breughel récapitulant sa vie et ses combats d’artiste (L’Enragé). Il convient d’ailleurs de souligner le rôle primordial joué par la peinture, principalement vénitienne et flamande, dans cet univers romanesque.
En 1994, elle publie Le Jardin d’agrément, roman où se produit une chose étrange et inédite : la rencontre à Paris, dans une sorte de collision-annulation des temps, entre d’une part, Dominique enfant devenue jeune fille puis jeune femme et, d’autre part, la Dominique âgée qui écrit. Quant à l’absence d’indications de temps dans les intitulés des chapitres de ce roman, elle augure d’une nouvelle simultanéité des temps, plus rassérénée, laquelle enveloppera les cinq brefs romans qui achèvent la quatrième phase de l’œuvre : L’Accoudoir (1996), La Rénovation (1998), Journal amoureux (2000), Le Futur immédiat (2002) et Lettre à Lise (2003).
Ainsi les métamorphoses d’un style riche et précis, de même que l’extrême mobilité dans une approche presque physique de la mémoire et de l’imaginaire, marquent une œuvre à la mesure d’un siècle intimement vécu dans ses horreurs et ses merveilles. – Frans De Haes
Bibliographie
- Les Marais, roman, Paris, Denoël, 1942 (rééd. Paris, Gallimard, 1990, avec une préface de l'auteur).
- Anne la bien-aimée, récit, Paris, Denoël, coll. «La Belle Étoile», 1944, avec un frontispice de l'auteur (rééd. Bruxelles, Bernard Gilson Éditeur, 1993).
- Les Deux Surs, Roman, Paris, Denoël, 1946.
- Moi qui ne suis qu'Amour, Roman, Paris, Denoël, 1948.
- L'Ombre suit le corps, roman, Paris, Seuil, 1950.
- Les Enfants perdus, nouvelles, Paris, Denoël, 1951. Bâle-Lausanne, Éditions Vineta, 1951.
- Le Souffle, roman, Paris, Seuil, 1952, Prix Fémina.
- Les Quatre Coins, roman, Paris, Seuil, 1954.
- Le Gardien, roman, Paris, Denoël, 1955.
- L'Épouvantail, pièce en quatre actes, Paris, Gallimard, coll. «Le Manteau d'Arlequin», 1957.
- Artémis, roman, Paris, Denoël, 1958.
- Le Lit, roman, Paris, Denoël, 1960 (rééd. coll «Folio», 1972).
- Le For intérieur, roman, Paris, Denoël, 1962.
- La Maison, la Forêt, roman, Paris, Denoël, 1965 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 1992).
- Maintenant, roman, Paris, Denoël, 1967.
- Le Corps, roman, Paris, Denoël, 1969.
- Les Éclairs, roman, Paris, Denoël, 1971.
- Lettre au vieil homme, roman, Paris, Denoël, 1973.
- Deux, roman, Paris, Denoël, 1975.
- Dulle Griet, roman, Paris, Denoël, 1977 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 2002).
- L'Enragé, récit, Paris, Éditions Ramsay, coll. «La Vie antérieure», 1978 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 1986).
- L'Infini chez soi, roman, Paris, Denoël, 1980 (rééd. Arles, Actes-Sud, coll. «Babel», 1996).
- Le Gâteau des morts, roman, Paris, Denoël, 1982.
- La Voyageuse, roman, Paris, Denoël, 1984.
- L'Enfant-Roi, Paris, Denoël, coll. «L'Infini», 1986.
- Trente ans d'amour fou, roman, Paris, Gallimard, 1988.
- Vingt chambres d'hôtel, roman, Paris, Gallimard, 1990.
- Bruges-la-Vive, Paris, Ramsay/de Cortanze, 1990.
- Un convoi d'or dans le vacarme du temps, Paris, Ramsay/de Cortanze, 1991.
- Deux femmes un soir, roman, Paris, Gallimard, 1992 (rééd. coll. «Folio», 1995).
- Les Géraniums, nouvelles, Paris, Éditions de La Différence, 1993, avec un avant-propos de l'auteur.
- Le Jardin d'agrément, roman, Paris, Gallimard, 1994.
- Train de rêves, roman, Paris, Gallimard, coll. «L'Infini», 1994.
- L'Accoudoir, roman, Paris, Gallimard, 1996.
- La Rénovation, roman, Paris, Gallimard, 1998 (rééd. coll. «Folio», 1999).
- Journal amoureux, roman, Paris, Gallimard, 2000 (rééd. coll. « Folio », 2001).
- Plaisirs, entretien avec Patricia Boyer de Latour, Paris, Gallimard, coll. «L'Infini», 2002 (rééd. coll. «Folio», 2004).
- Le Futur immédiat, roman, Paris, Gallimard, 2002 (rééd. coll. «Folio», 2003).
- Lettre à Lise, roman, Paris, Gallimard, 2003.
Bibliographie critique- Le bonheur en projet. Hommage à Dominique Rolin, essai, Bruxelles, AML/Labor, coll. «Archives du Futur», 1993.
- Frans De Haes, Les pas de la voyageuse : Dominique Rolin, essai, Bruxelles, AML/Labor, coll. «Archives du Futur», 2007.
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