BIOGRAPHIE
Julien Green, dernier né d'une famille américaine protestante, naît à Paris le 6 septembre 1900. Les parents descendent de vieilles familles anglaises installées dans les États du Sud. Son père spécule, se ruine et s’exile en Europe, c’est pourquoi Julian naît à Paris. Il est américain et n’a pas d’autre nationalité. Éduqué dans les deux langues, anglaise à la maison, française au Lycée Janson-de-Sailly, il est voué à deux mondes différents. La double identité s’installe en lui et le sentiment de l’exil ne le quitte pas. Sa mère lui donne à lire Dickens, les Brontë, Thackeray et les poètes anglais; son père lui fait découvrir peinture et musique. Ce vert paradis s’écroule subitement le 27 décembre 1914 avec la mort de sa mère bien-aimée.
À seize ans il devient catholique, à la suite de la conversion de son père. En 1917, il s’engage respectivement comme ambulancier au sein de l’American Field Service, sur le front en Argonne, puis dans la Croix-Rouge américaine sur le front italien de Vénétie, mais est à chaque fois renvoyé parce qu’il n’a pas l’âge requis. En 1918, il gagne l’École d’artillerie de Fontainebleau, en sort aspirant. Ces expériences marquent fortement l’adolescent, résolument antimilitariste depuis.
De 1919 à 1922, il achève ses études à l’Université de Virginie. Il y découvre ses plus grandes influences : Hawthorne, Shakespeare, et y connaît l’amour. Les vicissitudes de cette vie estudiantine sont transposées dans Moïra (1950). La fureur de vivre autant que la recherche du plaisir effréné ne prennent pourtant paradoxalement sens que parce que s’y mêle d’emblée la nostalgie du divin. Son premier récit, The Apprentice Psychiatrist, est publié dans la très recherchée Virginia Quarterly Review (1920).
De retour à Paris, inscrit à La Grande Chaumière, il renonce à peindre mais publie récits, nouvelles et le Pamphlet contre les catholiques de France (1924). Des amitiés indéfectibles se nouent, notamment avec Jacques Maritain et Max Jacob. Il a francisé son prénom et son premier roman, Mont-Cinère (1926), surprend. Il est aussi le premier à écrire sur Ulysse de Joyce, écrivain qu’il admire profondément.
Adrienne Mesurat (1927), Léviathan (1929), Le Voyageur sur la terre (1927), un monde nouveau vient de débarquer en France. Aucune trace d’appartenance religieuse ou politique, mais «un réalisme magique» selon l’expression de Zweig, dans ces analyses d’âmes à la recherche d’un paradis perdu et muré. Épaves (1932), Minuit (1936), Le Visionnaire (1934)… autant de succès. Les livres sont traduits dans de nombreux pays et Green prend une place unique dans la littérature.
Le Journal que tient Julien Green de 1919 à 1995, devenant ainsi le confident de nombreux lecteurs, révèle ses dons de visionnaire hors de la littérature. La publication posthume de son Journal intégral en 2019 témoigne pareillement de la passion de la vérité. Pacifiste, sans engagement politique, il reste d’abord et avant tout un homme libre. En 1940, mobilisé aux États-Unis, il devient la «Voix de l’Amérique» de 1942 à 1944 à l’«Office of War Information».
De retour en France, fin 1945, romans et pièces de théâtre se succèdent et son œuvre devient plus lumineuse. Véritables drames spirituels, les récits témoignent surtout de la réalité de vision qui assure l’intimité d’une conscience éprise d’Absolu et capable de liberté. Angoisse existentielle et plongées dans l’inconscient contribuent de concert à la quête de l’identité. En 1951, il est élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Son théâtre est joué partout à l’étranger car, malgré le succès de Sud (1953) en France, il est plutôt réticent à l’égard des metteurs en scène français. Ainsi Demain n’existe pas, L’Automate (1985) sont créés en Allemagne ou en Italie.
De 1963 à 1972, il publie son Autobiographie en plusieurs volumes. Comme ses autres œuvres, elle est traduite dans le monde entier et séduit par sa sincérité, sa simplicité et la pureté de la langue, expression de ce qu’il doit au français de Pascal et à Baudelaire pour la précision et la musique des phrases. Le texte intitulé significativement Ce qu’il faut d’Amour à l’Homme (1978), en particulier, rapporte, dans une certaine mesure, l’évolution spirituelle de l’auteur, passant du protestantisme au catholicisme, un moment agnostique, attiré par le bouddhisme, et qui revient vers l’Église, assuré de la pureté de l’amour au coeur du christianisme primitif. Gagner en lucidité et en humanité amène à redonner davantage de force à la conscience. Surtout, cela conduit assurément à relégitimer l’idée de Sacré constitutive de la condition humaine, ce dont témoigne la parution de la biographie de François d’Assise Frère François (1983). Et à 87 ans, Julien Green publie une trilogie américaine, Les Pays lointains (1987), Les Étoiles du Sud (1988), Dixie (1995), où toute l’histoire du Sud et de sa famille nous revient, réverbérée par son enfance et sa nostalgie du bonheur.
Julien Green est l’un des rares auteurs publiés de son vivant dans la Pléiade. Si Julien Green reste un écrivain à part, le Romantisme européen constitue pour une part l’univers de référence. Expression d’une résistance intérieure exceptionnelle, l’écriture greenienne met en scène le scénario initiatique constitutif du voyage symbolique de personnages en quête de vérité intérieure, portés par la nostalgie d’une harmonie perdue et par la connaissance de ce qui les relie à l’Absolu. Épurée de savoir dogmatique, la sagesse se vit de l’intérieur et passe par la reconnaissance de l’invisible ou du sacré, et peut mener vers la sainteté. Et l’Amour semble se libérer peu à peu du poids déchirant de la chair.
Julien Green nous a quittés le13 août 1998 et repose en Autriche, dans la chapelle de l’église Saint-Egid de Klagenfurt.
– Giovanni Lucera et Valérie Catelain
BIBLIOGRAPHIE
Dionysos ou La chasse aventureuse : poème en prose, Fayard, Paris, 1997.
Ralph et la quatrième dimension, Flammarion, Paris, 1991.L'Homme et son ombre, Le Seuil, Paris, 1991.
Liberté chérie, Le Seuil, Paris, 1989.
Les Étoiles du Sud (Dixie II), Le Seuil, Paris, 1989.
Les Pays lointains (Dixie I), Le Seuil, Paris, 1987.
Villes, Éditions de la Différence, Paris, 1985.
Le Langage et son double, Éditions de la Différence, Paris, 1985.
Frère François, Le Seuil, Paris, 1983.
Demain n'existe pas, 1979.
Le Mauvais lieu, Plon, Paris, 1977.
La Nuit des fantômes, Plon, Paris, 1976.
L'Autre, J. Tallandier, Paris, 1971.
Terre lointaine (autobiographie, 1919-1922), Grasset, Paris, 1966.
Mille chemins ouverts (autobiographie, 1916-1919), Grasset, Paris, 1964.
Partir avant le jour (autobiographie, 1900-1916), Grasset, Paris, 1963.
Chaque homme dans sa nuit, Plon, Paris, 1960.
L'Ombre, Théâtre Antoine, Paris, 1956.
Le Malfaiteur, Plon, Paris, 1956.
L'Ennemi, Théâtre des Bouffes-Parisiens, Paris, 1954.
Sud, Théâtre de l'Athénée, Paris, 1953.
Moïra, Plon, Paris, 1950.
L'Autre sommeil, La Palatine, Genève/Paris, 1950.
Si j'étais vous, Plon, Paris, 1947.
Varouna, Plon, Paris, 1940.
Minuit, Plon, Paris, 1936.
Le Visionnaire, Plon, Paris, 1934.
Épaves, Plon, Paris, 1932.
Léviathan, Plon, Paris, 1929.
Le Voyageur sur la terre, Éditions de la Nouvelle Revue française, Paris, 1927.
Suite anglaise, Les Cahiers de Paris, Paris, 1927.
Les Clefs de la mort, La Pléiade, Paris, 1927.
Adrienne Mesurat, Plon, Paris, 1927.
Mont-Cinère, Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1926.
Pamphlet contre les catholiques de France (sous le pseudonyme de Théophile Delaporte), Impr. de Darantière, Dijon, 1924.
BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
Valérie Catelain, Julien Green et la voie initiatique, Éditions de l'ARLLFB, Bruxelles, 2005.
Carole Auroy, Julien Green, le miroir en éclats : étude sur l'autobiographie, Éditions du Cerf, Paris, 2000.
Annette Tamuly, Julien Green à la recherche du réel : approche phénoménologique, Naaman, Sherbrooke, 1976.
Philippe Derivière, Julien Green, les chemins de l'errance, Talus d'approche, Paris, 1994.
Jean-Claude Joye, Julien Green et le monde de la fatalité, Arnaud Druck, Berne, 1964.
Marc Eigeldinger, Julien Green et la tentation de l'irréel, Éditions des Portes de France, Paris, 1947.
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