BiographieAîné de dix enfants, Lucien Guissard naît le 15 octobre 1919 à Mousny, sur l’Ourthe, près de La Roche-en-Ardenne. Il fait des études classiques à Bure, puis à Sart-les-Moines. Attiré par la vocation religieuse, il choisit les Assomptionnistes en 1937 et accomplit son cycle de philosophie et de théologie à Saint-Gérard. Ordonné prêtre en 1943, il poursuit sa formation en suivant, de 1945 à 1947, les cours de la faculté des Sciences politiques et sociales de l’UCL.
Dès 1948, il est envoyé à Paris pour s’occuper de la revue Le Fichier bibliographique. Il met son séjour à profit pour s’inscrire comme élève libre à l’École des sciences politiques. Après un séjour à Rome, il s’installe définitivement dans la capitale française, où il devient rédacteur du quotidien catholique La Croix, en novembre 1950. La partie la plus importante de son activité journalistique commence. Il est bientôt chargé dans ce journal de la critique littéraire, jusqu’alors confiée à Luc Estang. Mais il traite aussi les sujets les plus divers. Ses qualités le mènent au poste de chef du service culturel puis à celui de rédacteur en chef adjoint. Il sera rédacteur en chef de 1969 à 1974. Presse-Actualité bénéficie également de son apport : il est nommé en 1955 rédacteur en chef de cette revue qui s’occupe d’information. Pendant ces années, Lucien Guissard effectue des voyages : il se rend aux États-Unis, dans le Proche-Orient, en Amérique du Sud et dans plusieurs pays européens.
Son premier ouvrage paru en 1960 : Catholicisme et progrès social, couronné par l’Académie française, a bénéficié de l’attention de Daniel-Rops. L’année suivante, dans Écrits en notre temps, il se penche sur l’apport de la pensée sociale de l’écrivain, analyse qu’il prolonge en 1962 dans une courte étude sur Emmanuel Mounier, où il souligne la proximité du personnalisme avec les préoccupations de son époque.
Lucien Guissard poursuit une inlassable activité de critique, son nom figure dans un grand nombre de revues, de La Table ronde à La Revue générale, du Mercure de France à La Revue nouvelle et à L’Action populaire. Il collabore au Cahier de L’Herne consacré à Bernanos, et à diverses publications. En 1969, il est appelé comme maître de conférences à la Faculté des Sciences politiques et sociales de l’UCL. Cette même année, il fait paraître Littérature et pensée chrétienne, qui rejoint et développe des thèmes évoqués dans le livre de 1961, Écrits en notre temps. L’ouvrage, au départ de la question : «À quoi sert la littérature?», développe une réflexion sur les fonctions idéologique et humaine de la création littéraire. Lucien Guissard aborde dans cet ensemble d’essais traversés par l’idée directrice du destin de la littérature, le problème toujours actuel d’une querelle entre les anciens et les modernes. Pour le critique, l’héritage du passé doit s’articuler harmonieusement avec la pensée contemporaine. Pour étayer sa thèse, Guissard entame une réflexion philosophique et s’attache au rôle de la littérature dans l’histoire de la pensée chrétienne. Des chapitres sont consacrés à l’idéologie, au prophétisme et aux liens entre la culture et la théologie, pour culminer dans une autre question : «Y a-t-il encore une littérature catholique?» Par le biais d’une analyse lucide et pénétrante de différents auteurs, de Bloy à Julien Green, de Robbe-Grillet à Ionesco, de Sartre à Barthes ou Bataille, Guissard démontre sa croyance en un avenir de la littérature qui permette à l’appétit de synthèse de notre époque d’être comblé.
Ce n’est que dix ans plus tard, en 1979, que Lucien Guissard publie un nouvel ouvrage. Il a en effet ajouté à ses activités des cours aux États-Unis et une participation à l’Union catholique internationale de la presse, tout en continuant à assurer, malgré la retraite, une chronique régulière au journal La Croix et à signer maints articles.
Histoire d’une migration ouvre une série de créations personnelles. Cette œuvre autobiographique dévoile l’art de vivre d’un écrivain qui voue à l’écriture une fidélité et une rigueur qui dépassent le stade de la critique et de l’analyse pour rejoindre celui de la vocation religieuse. En 1986, Les Chemins de la nuit, recueil de nouvelles de facture sobre et classique, montre un auteur préoccupé non seulement de métaphysique et de recherche intérieure, mais aussi attiré par les aspects concrets du quotidien. Nourri par les voyages, la mythologie et une vaste culture humaniste, cet ensemble trouve son prolongement dans l’essai Le Temps d’être homme en 1990. Des critiques ont avancé le mot de «trilogie» pour ce volume et les deux ouvrages parus précédemment. La remarque est pertinente dans la mesure où Lucien Guissard, dans l’évocation de son origine modeste et de son enfance ardennaise, de sa carrière de journaliste littéraire et de son expérience de vie religieuse, introduit la notion d’amour et de bonheur du langage humain qui s’accomplissent dans son oeuvre d’imagination. Son premier roman, La Ressemblance, paru en 1995, confirme ce sentiment. À travers une intrigue qui tente de retracer l’image effacée d’un visage de jeune fille sur une mosaïque ancienne, Lucien Guissard s’attache au mystère des origines entre l’Antiquité et notre siècle. Le héros, qui ressemble beaucoup au narrateur, s’aventure sur les chemins émerveillés de l’archéologie et des découvertes méditerranéennes. Ce qui nous permet de retrouver la lumière fulgurante des pages consacrées à cette même Méditerranée dans un recueil de souvenirs de voyages, paru en 1993, Les Promesses de la mer. Mais c’est peut-être dans La Puce et les lions, centré en 1988 sur des entretiens de Guissard avec Gabriel Ringlet sur le journalisme littéraire, que la figure du prêtre-écrivain prend toute sa dimension : l’homme s’y montre dans sa vérité absolue, celle qui témoigne de son intérêt passionné pour la vie sous toutes ses formes.
Élu à l’Académie le 13 décembre 1986, Lucien Guissard est décédé le 22 mars 2009.
– Jean Lacroix et Paul Emond
Bibliographie
- Catholicisme et progrès social, Paris, Fayard, Je sais, je crois, 1960.
- Écrits en notre temps. Études sur la pensée sociale des écrivains, Paris, Fayard, Le Signe, 1961.
- Emmanuel Mounier, essai, Paris, Éditions universitaires, coll. «Classiques du XXe siècle», 1962.
- Littérature et pensée chrétienne, essai, Casterman, 1969.
- Histoire d'une migration, essai autobiographique, Desclée-De Brouwer, Connivence, 1979.
- Les chemins de la nuit, nouvelles, Le centurion, 1986.
- La puce et les lions, le journalisme littéraire, collectif, Paris, Éditions Universitaires et Bruxelles, Éditions De Boeck, 1988.
- Pour une société de communication, essai, Éditions Cana, Coll. « Des idées, des hommes », 1991.
- Le temps d'être homme, essai, Paris, Flammarion, 1992.
- Les promesses de la mer : la méditerranée retrouvée, essai, Desclée de Brouwer, 1993.
- La ressemblance, roman, Paris, Éditions de Fallois, 1995.
- Les assomptionnistes d'hier à aujourd'hui, essai, Bayard, 2000.
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