Biographie
Paul Emond (Bruxelles, 1944) est peut-être avant tout un grand lecteur, curieux et subtil. En témoigne sa thèse de doctorat en philologie romane, La Mort dans le miroir (1973), consacrée à La Noire de Jean Cayrol. Il y pose la question de la représentation littéraire qui va sous-tendre toute sa démarche de création : montrer «le caractère mensonger de toute fiction romanesque qui prétend raconter une histoire vraie, qui entend cacher son caractère fictif». Mais si ses textes reprennent cette interrogation, ils suscitent en même temps un réel plaisir de lecture : ton échevelé de la narration ou distanciation ironique, burlesque des situations, jeu sur la langue, citations parodiques joyeuses.
Son premier roman, La Danse du fumiste (1979), prix triennal du roman de la Communauté française, en est d’emblée un bel exemple. Constitué d’une seule longue phrase, il est le monologue d’un affabulateur dont, progressivement, les propos s’inversent. La drôlerie n’occulte pas le tragique de la situation de ce baratineur qui a besoin de parler sans cesse pour exister. Chez lui, le comique alterne avec la gravité des sentiments et des émotions. Nombre de personnages sont des paumés, des ratés, des victimes du quotidien dont il nous fait percevoir le désarroi et la souffrance; des personnages pour qui parler maintient en vie, et qui élaborent leur vie par la fiction. Cet alliage de drôlerie et de gravité s’inscrit dans l’esthétique du grotesque, qui se caractérise par ces brusques passages du rire aux larmes.
Après La Danse du fumiste, il publie plusieurs romans : Plein la vue (1981), l’histoire d’un faux aveugle; Paysage avec homme nu dans la neige (1982), où s’élabore une réflexion sur la représentation picturale qui prolonge celle sur la représentation littéraire; Tête à tête (1989), monologue d’une femme face à un homme qui se tait; La Visite du plénipotentiaire culturel à la basilique des collines (2005), un fonctionnaire enferré dans son image sociale et prisonnier de ses frustrations d’enfance; «Abraham et la femme adultère», in Histoires de tableaux (2005), ou comment une ressemblance picturale peut orienter une vie; L’Homme aux lunettes blanches (2005), toujours axé sur la représentation picturale.
Ces textes en prose — et ensuite les pièces de théâtre — se caractérisent par une tension entre une affectivité, plaisir de l’émotion, et un jeu formel, plus intellectuel et érudit, plaisir de l’esprit, rappelant, pour en jouer, les conventions et les codes de la création littéraire.
Les premiers romans ont un caractère oral marqué, le personnage tout en acte ne vivant que par son discours. Le passage du roman au théâtre était ainsi presque naturel.
La dimension du récit est très forte dans le discours des personnages de théâtre, ceux-ci se fabriquant une histoire qui leur permette d’assurer leur passé et leur présent.
Si Emond ne dédaigne pas les textes en prose, le théâtre prend cependant de plus en plus de place dans sa création. Ses pièces mettent en scène des personnages en proie à des phantasmes qui les éloignent des vicissitudes d’une vie médiocre, des palabreurs qui ne vivent que par leur discours et leurs espoirs fous. Certaines ont un aspect plus réaliste, même si par moments un éclair oblige à y soupçonner une dimension irréelle. D’autres baignent dans une atmosphère irréelle, comme Les Pupilles du tigre (1986) ou Caprices d’images (1996). D’autres encore suggèrent un climat onirique comme Il y a des anges qui dansent sur le lac (2009) ou Le Royal (1998), un hôtel qui semble être le séjour des morts. Il imagine encore des pièces faites de séquences courtes dont le metteur en scène peut adapter l’ordre, Histoire de l’homme, Tome 1 (2007) et Tome 2 (2018). Convives (1990) a obtenu le prix triennal du théâtre.
Les adaptations représentent une part importante de sa production théâtrale. Il commence par de nouvelles traductions de Shakespeare ou d’Euripide, par exemple. Mais il s’agit surtout d’adaptation au théâtre de textes romanesques, où son talent de lecteur lui permet de dégager des lignes de force d’un texte qu’il parvient à restituer en trame théâtrale : L’Odyssée d’Homère (1996); Don Quichotte de Cervantès (1998); Le Château de Kafka (2001); Moby Dick de Melville (2001); Tristan et Yseut (2007). Et les très remarquées Madame Bovary de Flaubert (2015) et L’Écume des jours de Vian (2018).
Pour lui, le théâtre est avant tout une création collective, l’écrivain n’étant qu’un des rouages d’un spectacle auquel metteur en scène, dramaturge, comédien, décorateur, éclairagiste ajoutent chacun une touche de signification. Il est ainsi particulièrement réceptif aux suggestions des différents intervenants, modifiant le texte en fonction des suggestions. Cette plasticité lui permet de travailler avec des metteurs en scène très différents et d’imaginer des pièces d’une grande diversité.
Ces dernières années, il revient à la fiction narrative avec des textes variés dans le ton, la forme et l’inspiration : la fiction de Les Vingt-Quatre Victoires d’étape du peintre Belgritte (2013) où un grand peintre belge tente le pari de faire un tableau à chaque étape du Tour de France; les contes déjantés de Les Aventures de Mordicus (2014) où le héros est confronté aux situations les plus absurdes ; les récits de Quarante-neuf têtes dans le miroir (2020) où le personnage contemple sa tête, revenant là à un motif largement exploité dans les premiers textes de l’auteur. On y retrouve des thématiques qui lui sont chères depuis le début, principalement ce qu’il nomme «la transgression des niveaux», instaurant une confusion entre réalité et fiction, vérité et mensonge, réel et irréel, soutenu par la figure du passage à travers le miroir.
Paul Emond a également été un enseignant particulièrement apprécié de ses étudiants à l’université et à l’IAD. Il reste encore un infatigable animateur d’ateliers de création théâtrale, partout dans le monde, où son enthousiasme et sa bienveillance sont très appréciés.
– Joseph Duhamel Bibliographie
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Impromptus
Discours de réception (séance publique du 20 octobre 2012)
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