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Composition


Simon Leys

Simon Leys / Photo © ARLLFB Membre belge littéraire du 10 novembre 1990 au 11 août 2014
Prédécesseur : Georges Simenon
Successeur : Amélie Nothomb
Fauteuil 26

Biographie

C’est avec Les Habits neufs du Président Mao, publié en 1971, que Simon Leys, pseudonyme de Pierre Ryckmans, né à Anvers en 1935, s’est fait connaître du grand public. Il y développait une thèse centrale : plutôt qu’un mouvement de masse issu de la base contre les privilèges et les classes, la Révolution culturelle chinoise n’était qu’une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d’individus, qui se pratiquait par l’élimination des rivaux, des opposants et bientôt de tout qui pût incarner une pensée : professeurs, intellectuels, artistes, écrivains. Historien d’art de formation, il s’était intéressé à la littérature, à la peinture et à la calligraphie en Chine qu’il qualifiait de «l’autre pôle de l’expérience humaine», «l’autre absolu». Confronté à une civilisation en tout point opposée à la nôtre, il remet en question tout ce qui, jusque-là, lui avait paru évident. Mais voilà que, jour après jour, sur les rivages de Hong Kong où il vivait, la mer charriait son lot de cadavres et de rescapés à la nage qui témoignaient de l’horreur qu’ils avaient réussi à fuir. Pour échapper à la honte du silence complice, il ne lui restait qu’à écrire et à témoigner. Ce livre fut accueilli en France par des volées de bois vert de la part des journaux ou des intellectuels les plus en vue, ou par le mépris ou l’indifférence. Son combat se transforme en un combat contre le mensonge et l’aveuglement. Son œuvre s’apparente à une quête de la vérité. Son moteur est l’indignation. Elle dévoile surtout une pensée à rebours qui trace sa voie à contre-courant du fleuve, une pensée libre sans cesse en éveil qui ne se réclame d’aucune figure tutélaire, une pensée concrète qui, tentant d’élucider les zones d’ombre, se forge à l’épreuve des faits ou des textes et s’adresse au lecteur sans artifice ou appareil conceptuel. Quatre essais sur la Chine suivront : Ombres chinoises (1974), Images brisées (1976), La Forêt en feu (1983), L’Humeur, l’honneur, l’horreur (1991).

La mer a exercé sur lui une fascination constante. Au commencement, il y avait la mer. Simon Leys le pensait volontiers lui qui, dans sa préface à sa monumentale Anthologie de la mer dans la littérature française (Plon, 2003) cite Hilaire Belloc : «C’est sur la mer qu’un homme se rapproche le plus de ses origines et se trouve en communion avec ce dont il est issu, et à quoi il retournera.» Pour rien au monde, il n’aurait manqué une sortie en mer, à condition que ce fût en voilier. Quand il était étudiant, il n’avait pas hésité à embarquer à bord d’un thonier breton, le Prosper, un bateau qui, sous sa plume, devient un personnage du récit qu’il publie. Pour tenter d’élucider le mystère du naufrage, en 1629, d’un joyau de la Compagnie hollandaise des Indes, le Batavia.

Simon Leys partagea la vie des pêcheurs de langoustes sur l’archipel inhabité d’Abrolhos. Les trois cents rescapés du naufrage réussirent à se réfugier sur quatre îlots de l’archipel. À peine sauvés de la noyade, ils tombèrent sous l’emprise d’un des leurs, «un psychopathe qui les soumit à un régime de terreur puis, secondé par une poignée de disciples, entreprit méthodiquement de les massacrer, n’épargnant ni les femmes ni les enfants». Anatomie d’un massacre, tel est le sous-titre du récit Les Naufragés du Batavia (Arléa, 2003) qui décrit l’entreprise sanguinaire consécutive au naufrage, une expérience en laboratoire du phénomène totalitaire, observé auparavant en Chine, qui, selon son analyse, serait tributaire de la réunion de trois facteurs : un psychopathe intelligent et charismatique, un groupe d’hommes de main prêts à tout et une foule de braves gens qui ne veulent pas de problèmes.

Lui que les hasards de la vie avaient conduit à vivre d’île en île, Taïwan, Hong Kong et finalement l’Australie où il s’était installé avec sa famille, avait choisi la mer pour que, après sa mort, ses cendres y fussent dispersées, à l’image de sa vie même où, retiré du monde, il n’avait cessé de s’effacer derrière son oeuvre, répugnant aux interviews et aux manifestations censées le porter sur le devant de la scène. Cet effacement, qui fait songer à Beckett, Gracq, Blanchot ou Michaux, est une composante intime de la tâche du traducteur qu’il qualifie d’«homme invisible». Le traducteur «s’emploie à effacer toute trace de sa propre existence. (…)» Simon Leys, s’est très tôt attelé à traduire les textes qui lui étaient chers. Selon lui, «on ne peut vraiment bien traduire que ce qu’on aurait aimé écrire soi-même». Ainsi, Les Entretiens de Confucius, La Mauvaise Herbe de Lu Xun, Six récits au fil inconstant des jours de Shen Fu, Les Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère de Shitao, traductions qui trouvent naturellement place dans son œuvre, aux côtés de ses ouvrages originaux.

«La traduction est la forme suprême de la lecture», écrivait-il. Et il était un immense lecteur, lui qui affirmait «fréquenter les livres plus que les gens». En lisant ses livres, les siens, où se bousculent les citations et les épigraphes, on a le sentiment que toute la littérature du monde est passée par ses mains, du moins celle qui s’écrit en anglais, en français ou en chinois. Dans Les Idées des autres (Plon, 2005), il prend plaisir à compiler les citations, classées par thèmes, de ses écrivains de coeur aux premiers rangs desquels figurent ses compagnons de route : Chesterton, Orwell, Conrad, Simone Weil, Segalen, Michaux, Kafka… qui se retrouveront au centre de ses essais : L’Ange et le Cachalot (Le Seuil, 1998), Protée et autres essais (Gallimard, 2001), Le Studio de l’inutilité (Flammarion, 2012).

Auteur d’un seul roman, La Mort de Napoléon (1986), c’est dans ses essais que Simon Leys fait montre d’une intuition qui, comme poussée par le vent de la langue, ouvre chez le lecteur les portes de l’imagination. Lui qui, toute sa vie, s’est érigé contre le totalitarisme de la politique et de la pensée, s’est réfugié dans l’humour et dans la beauté pour ne pas désespérer du monde et des humains.

– Jean-Luc Outers


Bibliographie

  • Les habits neufs du Président Mao. Chronique de la révolution culturelle, essai, Paris, Champ libre, 1971.
  • Ombres chinoises, essai, Paris, Union Générale d'Edition, coll. «10-18», 1974.
  • Images brisées, essai, Paris, Laffont, 1976.
  • La forêt en feu. Essai sur la culture et la politique chinoises, essai, Paris, Hermann, 1983
  • Orwell ou l'horreur de la politique, essai, Paris, Hermann, 1984 (rééd. Plon, 2006).
  • La mort de Napoléon, roman, Paris, Hermann, 1986 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 2002; rééd. Paris, Plon, 2005).
  • L'humeur, l'honneur, l'horreur, essai, Paris, Laffont, 1991.
  • The View from the bridge, essai, Sidney, ABC, 1996.
  • Essais sur la Chine, essai, Paris, Laffont, coll. «Bouquins», 1998.
  • Les deux acrobates, album jeunesse, Paris, Seuil, 1998.
  • L'ange et le cachalot, essai, Paris, Seuil, 1998 (rééd. Seuil, coll. «Points-Essais», 2002).
  • The Angel and the Octopus, essai, Sidney, Duffy and Snellgrove, 1999.
  • Protée et autres essais, essai, Paris, Gallimard, 2001
  • Les naufragés du Batavia, suivi de Prosper, essai, Paris, Arléa, 2003 (rééd. Seuil, coll. «Points», 2005).
  • La mer dans la littérature française, Tome I : De François Rabelais à Alexandre Dumas, anthologie, Paris, Plon, 2004.
  • La mer dans la littérature française, Tome II : De Victor Hugo à Pierre Loti, anthologie, Paris, Plon, 2004.
  • Les idées des autres. Pour l'amusement des lecteurs oisifs, essai, Paris, Plon, 2005.
  • L'atelier du roman, n° 47 : Passeront-ils les frontières? (collectif), Paris, Flammarion, 2006.
  • Le bonheur des petits poissons, chroniques, Lattès, Paris, 2008.
  • Le studio de l'inutilité, essai, Paris, Flammarion, 2012.

E-bibliothèque

Discours de réception (séance publique du 30 mai 1992)



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