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Pierre Mertens

Pierre Mertens / Photo © Jean-Luc Lossignol, ARLLFB Membre belge littéraire
Élu le 11 février 1989
Prédécesseur : Jean Muno
Fauteuil 6

Biographie

Romancier, critique littéraire, chroniqueur politique, essayiste, Pierre Mertens constitue, selon les mots de Paul Emond, «un point de repère symbolique pour toute une génération». Lu, traduit et commenté au-delà des pays d’Europe, Mertens a reçu, dès son premier roman, le prix Rossel; le prix triennal de la Communauté française de Belgique a récompensé les nouvelles d’Ombres au tableau en 1982 et, en 1987, le prix Médicis consacre son roman Les Éblouissements, tandis que le prix Jean Monnet lui est attribué pour Une paix royale, en 1996. Élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises en 1989, il a reçu, parmi d’autres nombreuses distinctions, tant en France qu’au Québec et en Allemagne, le prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre.

Pierre Mertens naît à Berchem-Sainte-Agathe, le 9 octobre 1939, d’un père journaliste et d’une mère biologiste. Lecteur boulimique et passionné, il s’ouvre vraiment à la littérature lorsqu’il découvre, jeune adolescent, le journal de Kafka. Il entreprend des études de lettres romanes à l’ULB, qu’il abandonne très vite, et opte pour des études de droit. Pendant ses trois premières années universitaires, il écrit un manuscrit de deux mille pages intitulé Paysage avec la chute d’Icare qu’il retravaille et rebrasse : ses deux premiers romans, L’Inde ou l’Amérique et La Fête des anciens, ainsi que son premier recueil de nouvelles, Le Niveau de la mer, reprendront bien des éléments de ce Paysage. Ces premiers écrits sont voués à l’enfance. Les romans qui suivent ne quitteront pas les thématiques individuelles, mais y associeront de plus en plus l’espace de l’Histoire : l’année de publication des Bons Offices, qui narre les rendez-vous ratés de Paul Sanchotte avec les grands événements de son temps, sera aussi celle de l’édition de son essai juridique sur L’Imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l’humanité.
Docteur en droit international de l’ULB, Mertens ne cesse de mener de front son activité littéraire et son activisme de juriste-citoyen, puisque, chargé de nombreuses missions d’observateur judiciaire international au Proche-Orient, en Europe de l’Est et dans le bassin méditerranéen, il continue à écrire comme romancier et nouvelliste, mais aussi comme chroniqueur littéraire au Soir dès 1971, comme critique dans diverses revues françaises et étrangères, tandis qu’il est professeur (ULB, Insas), avant de devenir directeur de l’Institut de sociologie de la littérature de l’ULB. On le voit, Pierre Mertens n’a jamais renoncé ni à son inscription dans le siècle, ni à la passion d’écrire. Il est de ceux — très rares — qui parviennent à alimenter l’écriture à l’Histoire et à nourrir cette dernière d’une vision politique et morale. C’est à cette veine étonnante qu’appartiendront Terre d’asile, roman intimiste sur le laminage de l’individu par le politique, Les Éblouissements, qui raconte le cheminement, les angoisses et les fragilités du poète et médecin allemand Gottfried Benn, Uwe Johnson, le scripteur de mur et Lettres clandestines. Une paix royale concilie, dans son baroque flamboyant, d’une part, l’interrogation sur l’Histoire, de l’autre les confidences très intimes dont Perdre, roman d’amour fou, théâtral, et Perasma figurent les tentatives limites. Par son insertion directe dans les événements qui ont entraîné l’abdication de Léopold III, Une paix royale a connu un large retentissement et suscité une action en justice qui lui a valu le soutien de nombre d’écrivains célèbres.

Découvert par Jean Cayrol qui l’accueillit, dès ses débuts, aux éditions du Seuil, Mertens se singularise par sa volonté de non-repli sur cette Belgique — à propos de laquelle il écrit beaucoup — et par son souci de n’être pas assimilé par Paris — où il est publié cependant. Il réagit mal, aujourd’hui, lorsqu’on le renvoie à ce dossier spécial des Nouvelles littéraires (1976) intitulé «L’Autre Belgique», où il crée le concept de «belgitude» avec le sociologue Claude Javeau. Belge, oui, mais internationaliste surtout lorsqu’il dialogue avec les grandes voix de Kafka, de Lowry, de Kundera, de Sciascia, de Semprun, Pasolini ou Cortazar; bref, avec les tenants d’une éthique littéraire d’opposition à tout maquignonnage culturel. C’est que Mertens s’est toujours mobilisé pour défendre les oubliés (Paul Gadenne, par exemple), qu’il a mené et mène toujours un vrai combat pour la modernité dans ses billets journalistiques, dans les jurys littéraires dans lesquels il siège et, bien sûr, dans ses ouvrages critiques comme L’Agent double ou Le Don d’avoir été vivant.

Son souci rigoureux du politique et de la littérature vivante n’a d’égal que sa passion du cinéma, de la musique, du théâtre ou de l’opéra. Il s’essaiera d’ailleurs à ces genres, en écrivant le livret de La Passion de Gilles (1982) et des pièces de théâtre, comme Collision et Flammes.

Son imaginaire personnel, tragique, semble hanté par l’éclatement et la dispersion, par la violence fondamentale du monde, les déchirements et les maladies du corps social et de l’histoire. Ses romans et nouvelles montrent un univers brisé, un espace de la dépossession — consentie ou non —, de l’exil intime ou externe. Et si ses personnages sont des êtres déchirés, le plus souvent dépossédés, les textes leur font accomplir une curieuse dérive, au-delà de la détresse, comme si la perte offrait aussi l’obscure possibilité d’une réparation.

Les écrits de Mertens sont aussi contestation esthétique et idéologique du récit classique, comme des structures sophistiquées d’un certain Nouveau Roman. Pourtant Mertens continue à raconter, mais en pratiquant une déconstruction formelle des genres, dans l’insistance, la répétition, le collage et dans la mise en pièces du récit canonique.

Comme dans son style, Mertens pratique l’hybride, le métissage des registres et des genres. Aussi son oeuvre est-elle soeur de ces très grands textes contemporains qui s’acharnent à brouiller les marques et les repères.

– Danielle Bajomée

Bibliographie

  • L'Inde ou l'Amérique, roman, Paris, Seuil, 1969.
  • Le Niveau de la mer, nouvelles, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1970.
  • La Fête des anciens, roman, Paris, Seuil, 1971 (rééd. Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, 1983).
  • Les Bons Offices, roman, Paris, Seuil, 1974 (rééd. Tournai, Talus d'approche, 1994; rééd. Paris, Seuil, coll. «Points», 2001).
  • Nécrologies, nouvelles, Bruxelles, Jacques Antoine, 1977; rééd. Bruxelles, ARLLFB, 2024 (voir la fiche du livre sur ce site).
  • Terre d'asile, roman, Paris, Grasset, 1978 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 1987; rééd. Arles/Bruxelles, Actes Sud/Labor, coll. «Babel», 1989).
  • Ombres au tableau, nouvelles, Paris, Fayard, 1982.
  • La Passion de Gilles, opéra, Arles, Actes Sud, 1982.
  • Perdre, roman, Paris, Fayard, 1984 (rééd. Seuil, coll. «Points Romans», 1991).
  • Terreurs, nouvelles, Tournai, Le Talus d'approche, 1984.
  • Les Éblouissements, roman, Paris, Seuil, coll. «Fiction et Cie», 1987 (rééd. Seuil, coll. «Points», 1989).
  • Berlin, un guide intime, essai, Paris, Éditions Autrement, 1987.
  • Collision, théâtre, Paris, L'Avant-Scène, 1988.
  • L'Agent double (sur Duras, Gracq, Kundera, etc.), essai, Bruxelles, Complexe, coll. «Le regard littéraire», 1989.
  • Uwe Johnson, le Scripteur de mur, Arles, Actes Sud, 1989.
  • Lettres clandestines, récit, Paris, Seuil, coll. «Fiction et Cie», 1990.
  • Les Chutes centrales, nouvelles, Dijon, Verdier, 1990.
  • Les Phoques de San Francisco, nouvelles, Paris, Seuil, coll. Fiction et Cie, 1991.
  • Flammes, comédie dramatique, Arles, Actes Sud Papiers, 1993.
  • Une paix royale, roman, Paris, Seuil, coll. Fiction et Cie, 1995 (rééd. Loverval, Labor, coll. «Espace Nord Romans", 2005).
  • Collision, nouvelles, Arles/Bruxelles, Actes Sud/Labor, coll. «Babel», 1995.
  • Une seconde patrie, essai, Paris, Arléa, 1997.
  • L'oreille absolue, théâtre, Bruxelles, L'Ambedui, 1999.
  • Rilke ou l'ange déchiré, essai, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.
  • Perasma, roman, Paris, Seuil, coll. «Fiction et Cie», 2001.
  • Écrire après Auschwitz?, essai, Tournai, La Renaissance du Livre, 2003.
  • La violence et l'amnésie. Chronique des années de soufre, essai, Bruxelles, Labor, 2004.
  • Les chutes centrales, nouvelles, Bruxelles, Le Grand Miroir, 2007.
  • Paysage avec la chute d'Icare, recueil, Paris, Seuil, 2009.

    BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE
  • Luc Thomé, Pierre Mertens ou le naufrage de Colomb. De «L'Inde ou l'Amérique» aux «Nécrologies», Université de Liège, 1978.
  • Marc Quaghebeur, Alphabet des Lettres belges de langue française, Bruxelles, Promotion des Lettres, 1982 (rééd. Labor, coll. «Espace Nord», 1998).
  • Michel Brouyère, Le thème de la solitude dans l'œuvre de Pierre Mertens, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, 1985.
  • Danièle Hontoir, Le thème de l'exil dans l'œuvre de Pierre Mertens, Bruxelles, Vrije Universiteit Brussel, 1985
  • Michel Torrekens, «Pierre Mertens», dans Auteurs contemporains, Bruxelles, Didier Hatier, 1985.
  • Bénédicte Cornille, Le jeu salvateur dans «L'Inde ou l'Amérique» de Pierre Mertens, Louvain, Université Catholique de Louvain, 1986.
  • Revue Lendemain, numéro spécial, n°48, Berlin, 1987.
  • Pascal Plumhans, Pour une analyse littéraire de l'œuvre de Pierre Mertens. Rupture - départ et fuite : évolutions du personnage principal, Bruxelles, Université Libre de Buxelles, 1989.
  • Danielle Bajomée, Pierre Mertens l'Arpenteur, textes, entretiens, études rassemblés par Danielle Bajomée, Bruxelles, Labor, coll. «Archives du futur», 1990.
  • Marc Quaghebeur, «Une Paix royale de Pierre Mertens», Universalia 1996, Encyclopedia Universalis.
  • Michèle Fabien, Une Paix royale, adaptation du roman, Bruxelles, Éditions Didascalies, 1997.
  • Pierre Mertens. La Littérature malgré tout, essais de Ph. Di Meo, M. Flügge, J. Henric, H. Nyssen, D. Oster, G. Scarpetta, J. Sojcher, M. Surya, V. Vassilikos, J. Ziegler, Bruxelles, Complexe, 1998.
  • Pierre Mertens. La vérité de la fiction, Actes du colloque «Pierre Mertens, la liberté de l'esprit», Bruxelles, L'Ambedui, 1998.
  • Jacques Borel, «Perdre. En écho à Pierre Mertens», dans L'effacement, Paris, Gallimard, 1998.
  • Lourdes Terròn Barbosa, Les romans de Pierre Mertens, mémoire de licence, université de Valladolid, 1999.
  • Bernadette Desorbay, L'excédent de la formation romanesque. Etude de l'œuvre de l'écrivain Pierre Mertens, thèse de doctorat d'état, Bruxelles, FUSL, 2000.
  • Roger Lallemand, «L'érotisme et les frontières de l'expression» et «L'intellectuel face au pouvoir», dans Le songe du politique, Bruxelles, Didier Devillez, 2000.
  • Bernard Henry Levy, «La belle colère de Pierre Mertens», dans Mémoire vive, Paris, Le Livre de Poche, 2000.
  • Benoît Denis, Littérature et engagement, Paris, Seuil, coll. «Essais», 2000.
  • Jacques Sojcher, Un amour d'enfance (sur Perasma), Bruxelles, L'Ambedui, 2001.
  • Histoire et fiction. Jacques Sojcher, Pierre Mertens, Jean-Claude Bologne, Carnières, Lansman/Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université Catholique de Louvain, coll. «Chaire de Poétique», 2001.
  • Littérature au présent, DVD, Bruxelles, Éditions La Maison d'à côté, 2004.
  • Annamaria Laserra (dir.), Histoire, mémoire, identité dans la littérature non fictionnelle. L'exemple belge, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang Publishing Group, coll. «Documents pour l'Histoire des Francophonies», Théorie Vol. 7, 2005.

E-bibliothèque

Hommages

Discours de réception (séance publique du 5 mai 1990)



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