BiographieJean Muno (pseudonyme de Robert Burniaux) naît à Molenbeek le 3 janvier 1924. Son père, Constant Burniaux, est un écrivain reconnu. Sa mère, Jeanne Taillieu, est elle aussi écrivain. Tous deux sont professeurs. Robert Burniaux connaît une enfance solitaire, studieuse mais déjà traversée de fantasmes et de rêves secrets. Après des humanités gréco-latines et un bref exode en 1940, il fait des études de philologie romane à l'Université libre de Bruxelles. Dès 1945, il collabore à des revues littéraires et choisit le pseudonyme de Jean Muno, allusion à un village gaumais où il passa des vacances.
Bien que particulièrement reconnu comme romancier et nouvelliste, Muno écrit tout d'abord des chroniques sur le cinéma, ainsi que des pièces radiophoniques. Dès 1947, il devient professeur à l'École normale Charles Buls, se marie, mène en apparence la vie tranquille d'un jeune fonctionnaire-enseignant. Jusqu'en 1955, bien après son mariage, il vivra dans la maison familiale, avant de s'établir dans la périphérie bruxelloise, exactement à Malaise, petit village franco-flamand dont il apprécie à la fois le nom qui peut s'appliquer à une part notable de son uvre et de sa vie et la tranquillité. Reste cependant que Jean Muno, comme en témoignent plusieurs livres Ripple-Marks, L'Île des pas perdus, L'Hipparion sera un écrivain, non pas de la mer, mais des bords de mer, endroits de prédilection pour la plupart de ses personnages, jusque et y compris avec Jeu de rôles, son tout dernier roman, paru quelques jours avant sa disparition.
Dès lors, la vie de Jean Muno se confond avec son ouvre. Paradoxalement sociable et solitaire, il rencontre des écrivains belges, principalement des prosateurs, tels Suzanne Lilar, Paul Willems, Georges Thinès, Jacques-Gérard Linze, Gaston Compère, Robert Montal ou Guy Vites, mais son travail romanesque et théâtral témoigne toujours d'une indispensable autonomie, d'un accent personnel et inimitable.
Sa première publication importante, après Saint-Bedon (1955) et L'Homme qui s'efface (écrit en 1958, mais publié seulement en 1963) est L'Hipparion, en 1962, un court roman poético-satirique qui paraît chez Julliard. Toutes les caractéristiques, ou presque, des livres postérieurs sont déjà présentes ici : primauté de l'imaginaire sur le réel, portrait de l'enfant solitaire perdu dans des rêves compris de lui seul, candeur du vieillard qui se heurte à l'enfer c'est les autres sartrien, portrait implacable d'un conformisme belge passé au vitriol, certes, mais aussi traversé par le fantastique issu du quotidien le plus banal.
En 1968, avec Le Joker, Muno affirme sa maîtrise d'écrivain. Le personnage du Joker est un perdant, dont l'échec est décrit parallèlement à la décrépitude de son joli bichon qui, jeune chiot, lui apporte fortune et gloire, avant de décliner en même temps que ses affaires. Ce court récit est à la fois une raillerie du grand théâtre social et une méditation secrète sur les puissances de la destinée humaine. Le tout écrit avec un humour léger et caustique qui enlève à ce livre, comme à l'ensemble de toute l'ouvre de Muno, tout dogmatisme pesant, tout intellectualisme pontifiant.
Les années septante seront, pour l'écrivain, une période de doutes, d'hésitations et conjointement, un moment de consécration et durant laquelle des livres majeurs verront le jour. Parution de Ripple-marks, première confession autobiographique qui appartient à ce que l'on pourrait appeler la veine du règlement de comptes social en 1974, puis d'Histoires singulières, où voisine un fantastique du quotidien trempé d'humour noir ou absurde, récits avec lesquels il obtient, en 1979, le prix Rossel. En 1981, la pièce-monologue Caméléon, nouveau portrait de l'enfant surprotégé et incapable de désobéir aux ukases de la société bien-pensante dont il est issu, est représentée au théâtre de l'Esprit Frappeur. Cette même année 1981, il est élu le 14 mars à l'Académie, au siège d'Edmond Vandercammen et il publie un ravissant conte de Noël, Les Petits Pingouins, au sein duquel l'humour se tempère de tendresse et d'humanité vraie. En 1981 toujours, il participe à la création du Centre international du fantastique, à l'Abbaye de Forest-lez-Bruxelles, prélude à un véritable mouvement collectif d'écrivains fascinés, comme lui, par le fantastique (parmi lesquels Thomas Owen, Anne Richter ou Jean-Baptiste Baronian).
Les dernières ouvres de Jean Muno comme, du reste, l'ensemble de sa production mais plus nettement encore peuvent en gros être rattachées à deux grands courants de base, tantôt antinomiques, tantôt complémentaires : la dérision et l'étrange.
À la première tendance peuvent se rattacher deux livres ironiques, Histoire exécrable d'un héros brabançon (1982) et Jeu de rôles (1988), à l'auto-dérision décapante et qui traduisent un double malaise, qui fut toujours celui de Jean Muno : celui d'une destinée petite-bourgeoise, programmée et acceptée du bout des lèvres par un écrivain à la révolte secrète et ressentie comme vaine ou impuissante face aux énormes pressions du corps social; celui aussi, plus général, d'un intellectuel doublé d'un écrivain, coincé dans un petit pays, déchiré entre deux cultures et les querelles de clocher.
Plus éloigné du témoignage direct, Entre les lignes (1983) use davantage d'un étrange dont la dérision est encore accentuée par de très belles illustrations de Royer; par contre, Histoires griffues, paru en 1985, apparaît comme une illustration idéale de cette École belge de l'étrange dont Muno est une des principales figures.
Une tumeur du nerf optique emporte prématurément Jean Muno, le 6 avril 1988. – Jean-Luc Wauthier
|