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Jean-Philippe Toussaint

Pas d'image disponible Membre belge littéraire
Élu le 11 janvier 2014
Prédécesseur : Henry Bauchau
Fauteuil 9

Biographie

En 1985 paraît un livre étrange au titre énigmatique, un roman discret qui, très lentement, sans l’appui des médias, sans l’appui de la télévision, a fait son chemin comme un rhizome, et s’est mis à circuler presque sous le manteau, par la simple vertu du bouche à oreille. Écrit par un auteur totalement inconnu, Jean-Philippe Toussaint, La Salle de bain a connu un grand rayonnement en France, mais aussi à l’étranger puisqu’il a été traduit dans plusieurs langues. Au Japon, il connaît un succès considérable, surtout chez les jeunes. Il est devenu une sorte de livre culte. On a même parlé d’une génération «salle de bain» dans les années 80, une génération du repli sur soi, qui s’intéressait moins au monde qu’aux choses, aux formes, aux objets… Le héros de La Salle de bain a choisi une salle de bain pour passer ses journées. «Assis sur le rebord de la baignoire, j’expliquais à Edmonson qu’il n’était peut-être pas très sain à vingt-sept ans, bientôt vingt-neuf, de vivre plus ou moins reclus dans une baignoire. Je devais prendre un risque.» Ce roman est écrit comme un scénario de film en trois parties et en 74 paragraphes numérotés. C’est une sorte de traité de l’immobilité où le héros occupe le temps et l’espace sans ennui. Il lit, écoute les retransmissions de matchs de football à la radio, joue aux fléchettes, observe la progression d’une fissure dans le mur… Dans ce livre, comme dans ceux qui vont suivre, on trouve une science du cadrage et de la lumière, un art du presque rien, du récit lisse et un sens raffiné de l’ellipse. Le livre est parsemé de blancs qui sont comme des trous dans le fil de l’histoire, permettant des pauses et des variations de rythme.

Ce roman annonce d’autres livres qui vont suivre : Monsieur (1986), L’Appareil photo (1989), La Réticence (1991), La Télévision (1997). On y retrouve à chaque fois le style reconnaissable de Jean-Philippe Toussaint, qui est davantage un styliste qu’un raconteur d’histoires, ce en quoi il s’inscrit, mais pas complètement, se défend-il, dans la lignée du Nouveau Roman dans la mesure où il n’abolit pas les personnages. Son univers renvoie à une sorte de vide où surnage en général un personnage solitaire et désinvolte à la Tati. À l’exception de Monsieur, son deuxième livre, ses romans sont écrits à la première personne mais, à chaque fois, le subjectif, le psychologique sont rayés de cet univers mental. «Monsieur, à vrai dire, aurait été bien incapable de dire pourquoi sa fiancée et lui avaient rompu. Il avait assez mal suivi l’affaire, en fait, se souvenant seulement que le nombre de choses qui lui avaient été reprochées lui avait paru considérable.» Tel se présente le personnage de Toussaint, un quidam nonchalant, sans passions et sans états d’âme, sur lequel glissent les mots et les avatars du quotidien car «qu’est-ce que penser sinon à autre chose?». On imagine donc ce personnage évoluant sans trop se faire voir, sur la pointe des pieds, à peine gêné par le chewing-gum qui lui colle aux semelles.

Survient alors, en 2002, ce qu’on pourrait appeler «le cycle de Marie», composé de quatre romans : Faire l’amour (2002), Fuir (2005), La Vérité sur Marie (2009) et Nue (2013). On y retrouve l’humour et le découpage géométrique cher à l’auteur, un narrateur, étranger à sa propre existence, qui porte sur elle un regard mêlé d’incompréhension ainsi que certains thèmes traversant l’œuvre comme le rapport entre mouvement et immobilité, «la mesure noire du temps»… Mais les personnages deviennent des êtres de chair, en prise directe avec le réel, traversés par la jouissance et la souffrance, bref, par ce que communément on appelle la psychologie. Au centre, le narrateur et Marie, un couple qui, au cours des quatre romans, ne cesse de se séparer tout en restant ensemble. «Je compris alors que nous n’avions jamais été aussi unis que depuis que nous étions séparés.» Avec cette quadrilogie réunie sous le titre Marie Madeleine Marguerite de Montalde, on a le sentiment d’être revenu au cœur même du romanesque. «Désormais je cherche une énergie romanesque pure», dit Jean-Philippe Toussaint. Sur fond de rupture, ces livres sont des romans d’amour traversés par la passion, la douleur, les voyages, les fuites et la mort. On y entend comme en sourdine des cris, des halètements, des rires et des pleurs.

Après le cycle de Marie, Jean-Philippe Toussaint semble entreprendre un nouveau cycle autour de la Chine où déjà se déroulait en partie son roman Fuir. Dans Made in China (2017), l’auteur évoque son amitié avec son éditeur chinois et le tournage d’un film-performance au cœur de la Chine. La clé USB (2019) aborde le problème complexe des technologies du futur et de la cybersécurité à travers les aventures d’un narrateur qui, l’espace de quelques jours, disparaît de la carte des vivants.

Sur son travail d’écrivain, Jean-Philippe Toussaint donne quelques clés dans un bref essai : L’Urgence et la patience (2012). Il y a d’abord l’éloignement : «Car la distance oblige à un plus grand effort de mémoire pour recréer mentalement les lieux que l’on décrit.» Il y a ensuite l’urgence et la patience qui sont toujours en jeu dans l’écriture : «L’urgence qui appelle l’impulsion, la fougue, la vitesse — et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l’effort.»

Publiée entièrement aux éditions de Minuit, l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint connaît un grand rayonnement international. Traduite dans une vingtaine de langues, elle a été couronnée par de nombreux prix littéraires parmi lesquels le prix Rossel, le prix Décembre et le prix Médicis. Jean-Philippe Toussaint est également photographe et cinéaste. On lui doit l’adaptation à l’écran de ses romans Monsieur et L’Appareil
photo
ainsi qu’un film où se mélangent passion et burlesque : La Patinoire.

– Jean-Luc Outers

Bibliographie

E-bibliothèque

Discours de réception (séance publique du 16 mai 2015)



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