À propos du livre (texte de l'avant-propos)
Le premier volume de notre anthologie présentait les poètes du symbolisme et des tendances ultérieures à cet état d'esprit. L'essentiel de ce deuxième volume concerne ce qu'on peut appeler «la génération de 1900» si l'on se fonde sur la date de naissance des poètes qui la composent. De Robert Vivier à Albert Ayguesparse, de Marcel Thiry à Charles Plisnier, de Norge à Odilon-Jean Périer, il s'agit là d'un groupe d'âge si on peut s'exprimer ainsi particulièrement fertile et divers. Pour le premier volume, nous nous trouvions sur un terrain connu, qu'il nous a suffi d'examiner et d'arpenter, à la suite d'autres exégètes et d'autres auteurs d'anthologies. Les grandes lignes d'un choix désormais assez immuable étaient tracées par nos prédécesseurs. Il nous a suffi de rectifier quelques détails et, à peine, de renverser ici ou là, quelques jugements. Les révélations étaient rares.
La «génération de 1900» présente un terrain moins sûr, moins stable, plus discuté, plus encombré aussi de poètes qui, aux yeux des spécialistes, viennent d'enfin acquérir leurs contours. Pour certains même ce profil n'est pas encore définitif. Le temps qui nous sépare de leurs uvres est court, et certains de leurs livres sont tout récents. À l'heure où cet avant-propos se rédige, Norge, Vivier et Ayguesparse sont parmi nous. Les classements et les dosages ici sont plus risqués, mais c'est un risque qu'il nous appartient de prendre.
Alors que les symbolistes et leurs continuateurs immédiats formaient sous des dehors divergents, comme une unité incontestable même entre Verhaeren et Elskamp, de rythmes si différents, les rapprochements se justifient la «génération de 1900» n'a pas d'art poétique, de philosophie ou d'écriture en commun. Chacun y écrit pour soi et les chapelles n'existent pas. Est-ce pour autant une génération qui a eu de la chance, et une notoriété à la mesure de ses talents? Ce n'est nullement prouvé. Elle n'a que rarement eu le privilège de trouver à paris des éditeurs aussi enthousiastes que, pour Verhaeren, Maeterlinck, Elskamp ou Van Lerberghe, le Mercure de France et Fasquelle. Il en résulte que souvent elle s'est passé de conseils judicieux; elle a quelquefois publié ou fait simplement imprimer des livres médiocres, sans bénéficier d'un avis sévère et inévitable. Pour un Odilon-Jean Périer, un Henri Michaux ou, assez tard dans sa vie, un Norge, que de volumes inutiles et comme répétitifs pour un Robert Goffin ou un Géo Libbrecht, pourtant bon poètes à leurs heures. Cette génération a quelquefois manqué de discernement et de courage; ses livres sont abondants et, de temps à autre surabondants, voire inutiles.
Cette franchise ne doit pas nous empêcher de reconnaître les apports vivaces, profonds, variés, turbulents, contradictoires et même inépuisables de ces hommes et femmes, qui sont à l'affût de leur moi : il n'est pas certain que leurs contemporains de France aient des vertus plus grandes ou plus remuantes. Il nous incombait d'inventorier cette somme et de la mettre en lumière. Sans doute, la gloire d'un Plisnier, d'un Thiry, d'un Vivier, d'un Norge, d'un Périer, est-elle faite, sans mentionner Michaux qui, à la fin de sa vie, a connu une célébrité discrète ce n'est pas un paradoxe un peu à la manière d'un autre poète exigeant et difficile : Jorge Luis Borgès. Les dosages opérés, toujours délicats, il nous a semblé indispensable de rendre justice à quelques poètes plus délaissés, sinon méconnus. Nous ne voulons en citer ici que deux, qui méritent de prendre un place insigne au milieu des poètes plus fêtés : le parfait poète de la mer que fut José Gers, et le poète de l'angoisse extrême que fut Philippe Pirotte, disparu tragiquement.
Nous sommes, avec ce volume, sur un terrain à peine défriché; l'image de cette «génération de 1900» peut subir encore quelques retouches. Par exemple, à quatre-vingt-six ans, Norge a publié l'un des plus purs recueils des poèmes en ce temps. Toute anthologie de poésie contemporaine est une gageure.
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