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La première classe dans laquelle je pénétrai en 1929 était une salle commune qui groupait les six années du primaire. À trois mots près, cette phrase aurait pu être écrite par un géologue, car pour eux comme pour les instituteurs, le primaire groupe tout ce qui est préalable, fondamental, largement inconnu : c'est, selon le cas, la somme de toute l'ignorance ou de tous les ignorants.
La salle était vaste, claire, ouverte par un panneau vitré sur une cour vaguement sableuse. Les vitres avaient été passées à la peinture blanche jusqu'au tiers de la hauteur pour éviter les distractions. Les bancs, crevassés par des inconnus de la génération précédente, avaient été vernis à neuf pour donner un peu de sérieux pédagogiques à l'école ouverte quelques années plus tôt, à Altenbrück, petit village proche de la frontière allemande. Ce n'était pas l'école du village. Celle-là, nous ne la connaissions guère. Nous avions qu'elle était derrière le charbonnage, coincée entre des bois de pins rabougris et des ateliers tout neufs. Nous l'appelions la vieille école et nous ne comprenions pas le patois bas-allemand des enfants qui la fréquentaient, des enfants hirsute pleins d'arrogances gutturales. Notre école dépendait du charbonnage fondé au lendemain du traité de Versailles. Elle était réservée aux enfants des ingénieurs et des employés français. Plus tard vinrent des Belges, des Tchèques, des Polonais, beaucoup de Russes. Superbes les Russes, bagarreurs, excellents élèves comme le veut la légende. Les inscriptions à moitié rabotées attestaient que les bancs venaient de la vieille école. Ils étaient fort commodes. L'extrémité de la tablette était articulée et donnait accès à un casier peu profond dans l'angle duquel on logeait aisément les gommes au contact du bois.
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