Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique
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Roland Mortier

Roland Mortier / Photo © Jean-Luc Lossignol, ARLLFB Membre belge philologue du 14 juin 1969 au 31 mars 2015.
Prédécesseur : Julia Bastin
Successeur : Sophie Basch
Fauteuil 4

Biographie

Né à Gand le 21 décembre 1920, Roland Mortier, parfait bilingue, se familiarise avec une troisième langue à l’occasion des vacances qu’il passe chez sa grand-mère maternelle, dans la frange du Luxembourg belge où l’on use d’un patois allemand. Celui qui aurait pu devenir germaniste choisit la philologie romane. Entré à l’Université libre de Bruxelles en 1938, étudiant exceptionnel, il est en seconde licence lorsque l’institution, en novembre 1941, refuse de se conformer à l’ukase de l’occupant et ferme ses portes. Ayant le choix entre les trois universités qui offrent l’hospitalité aux étudiants bruxellois, il donne la préférence à celle de sa ville natale. En 1942, il est licencié en philosophie et lettres, avec la plus grande distinction.

Son mémoire de licence porte sur les Archives littéraires de l’Europe, une revue germanisante du premier Empire. L’essai devient un livre couronné par l’Académie royale de Belgique en 1955, publié en 1957. Sur les conseils de son maître Gustave Charlier, frappé par l’injuste oubli où était tombé Charles Vanderbourg, l’un des principaux rédacteurs des Archives littéraires, Mortier lui consacre sa thèse de doctorat, soutenue en 1950 à l’Université libre de Bruxelles et publiée en 1955 : Un précurseur de Madame de Staël : Charles Vanderbourg (1765-1827). Sa contribution aux échanges intellectuels à l’aube du XIXe siècle.

Professeur à l’Athénée royal de Malines depuis 1944 et assistant à l’Université de Bruxelles, il est associé à une recherche engagée par Gustave Charlier : publiée en 1952, elle concerne le Journal encyclopédique qui, entre 1750 et 1793, vulgarisa, à partir de Liège, puis de Bouillon, les idées de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Mortier s’attaque à un sujet d’une redoutable complexité : l’influence de Diderot sur la pensée et la littérature allemandes. Quatre ans plus tard, il présente comme thèse d’agrégation de l’enseignement supérieur Diderot en Allemagne (1750-1850), ouvrage fondamental, un «classique» du comparatisme (traduction allemande en 1967, réédition mise à jour en 1986).

En octobre 1955, il succède à Gustave Charlier. Malgré le poids de ses enseignements, les auditoires pléthoriques et les harassantes sessions d’examens, il continue à enrichir son œuvre scientifique. Le XVIIIe siècle a la part belle : une dizaine d’articles sur Diderot, une importante contribution (l’époque philosophique, 1715-1825) à l’Histoire illustrée des lettres française de Belgique (1958), une communication d’un intérêt exceptionnel présentée à Genève, en 1962, sous la forme d’une question «Unité ou scission du siècle des Lumières?» et un livre consacré à Un adversaire vénitien des «lumières», le comte de Cataneo (1965). Mais la recherche s’est étendue à d’autres secteurs, ainsi qu’en témoignent l’édition et le commentaire, en 1959, d’Un pamphlet jésuite «rabelaisant», le «Hochepot ou Salmigondi des Folz» (1596) et «Histoire d’une vie» dans Maurice Maeterlinck, publié en 1962, à l’occasion du centenaire de l’écrivain. En 1965, un éclatant hommage est rendu aux travaux du jeune savant : la Fondation Francqui lui décerne son prix triennal. Il sera ensuite titulaire de la chaire Francqui à la Katholieke Universiteit Leuven (1976) et à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (1984).

Pièces majeures de cette œuvre considérable, Diderot en Allemagne et les livres publiés ensuite font autorité : notamment, Clartés et Ombres du siècle des Lumières (1969), révélant la dualité du siècle «philosophique», Le «Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle» : un épisode de la «guerre philosophique» à l’Académie française sous l’Empire (1972), La Poétique des ruines en France : ses origines, ses variations, de la Renaissance à Victor Hugo (1974), une thématique dont les mutations éclairent de manière étonnante l’évolution de la culture occidentale, Voltaire : les ruses et les rages du pamphlétaire (1979), L’Originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières (1982) et, paru en novembre 1995, Anacharsis Cloots ou l’utopie foudroyée, reconstitution magistrale d’une destinée fascinante. Bilan de cinquante ans d’enseignement et de recherche, Le Cœur et la raison, publié en 1990 par la Voltaire Foundation d’Oxford, rassemble trente-cinq des deux cent trente articles qu’il a alors publiés. En 2003, l’Académie royale de langue et de littérature françaises publie son essai sur une femme remarquable, absente des dictionnaires et des biographies : Juliette de Robersart, une voyageuse belge oubliée.

Roland Mortier est membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises depuis 1969. Docteur honoris causa des Universités de Montpellier, Göttingen et Jérusalem, titulaire du prix Montaigne en 1983, il a été élu associé étranger de l’Académie des Sciences morales et politiques (Paris) en 1993. Après lui avoir décerné le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises (2001), l’Académie française lui a attribué le grand prix de la Francophonie pour l’ensemble de son œuvre (2006). Roland Mortier a présidé l’Association internationale de littérature comparée (1976-1979) et la Société internationale d’étude du XVIIIe siècle (1983-1987). Membre d’honneur de l’Académie hongroise des sciences et Corresponding Fellow de la British Academy, il fut également vice-président de l’Institut des hautes études de Belgique, président honoraire de l’Association internationale des études françaises (Paris), président du Comité d’honneur des Études staëliennes (Paris) et membre du Comité directeur des Œuvres complètes de Diderot ainsi que du Conseil consultatif des Œuvres complètes de Voltaire. Il a reçu le prix Montaigne (Stiftung FVS, 1983), le prix Counson de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Bruxelles (1985) et le prix de l’Union rationaliste (Paris, 1992).

Il s’est éteint le 31 mars 2015.

– Paul Delsemme et Sophie Basch

Bibliographie

  • Le journal encyclopédique. Une suite de l'Encyclopédie, 1756-1793, notes, documents et extraits réunis par Gustave Charlier et Roland Mortier, Paris, Bizet, 1952.
  • Diderot en Allemagne (1750-1850), histoire littéraire, Paris, Presses universitaires de France, 1954.
  • Un précurseur de Madame de Staël. Charles Vanderbourg, 1765-1827. Sa contribution aux échanges intellectuels à l'aube du XIXe siècle, Bruxelles, M. Didier, 1955.
  • «Les Archives littéraires de l'Europe» (1804-1808) et le cosmopolitisme littéraire sous le premier Empire, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1957.
  • Un pamphlet rabelaisant, le «Hochepot ou Salmigondi des Folz» (1596), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1959.
  • Clartés et ombres du siècle des Lumières. Études sur le XVIIIe siècle littéraire, Genève, Droz, 1969.
  • M…, officier militaire dans la marine, Les difficultés sur la religion proposées au père Malbranche, édition critique, texte intégral d'après le manuscrit de la bibliothèque Mazarine, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1970.
  • Le «Tableau littéraire de la France au XVIIIe siècle» : un épisode de la guerre philosophique à l'Académie française sous l'Empire, histoire littéraire, Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises, 1972.
  • La poétique des ruines en France : ses origines, ses variations de la Renaissance à Victor Hugo, Genève, Droz, 1974.
  • Voltaire : les ruses et les rages du pamphlétaire, Londres, Athlone Press, 1978.
  • L'originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des Lumières, Genève, Droz, 1982
  • Diderot and the «grand goût» : the prestige of history painting in the 18th century, Oxford, University Press, 1982.
  • Voltaire, Le Philosophe ignorant, Dieu et les Hommes et Examen important de Milord Bolingbroke (édition critique dans The Complete Works of Voltaire), Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
  • Le cœur et la raison, Oxford, Voltaire Foundation, 1990.
  • Anacharsis Cloots, ou l'utopie foudroyée, Paris, Stock, 1995.
  • Les combats des Lumières, Ferney-Voltaire, C.I.E.D.S., 2000?
  • Le Prince d'Albanie. Un aventurier au siècle des Lumières, Paris, Champion, 2000.
  • Le XVIIIe siècle français au quotidien. Textes tirés des Mémoires, des Journaux et des Correspondances de l'époque, Bruxelles, Complexe, 2002.
  • Une voyageuse belge oubliée : Juliette de Robersart (1824-1900), Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2003.
  • Lumières du XVIIIe siècle européen, Athènes, Institut de recherches néohelléniques, 2003.
  • Propos d'amour, de religion, de politique et de littérature. La correspondance entre Louis Veuillot et la comtesse Juliette de Robertsart (1862-1869), texte établi, présenté et annoté par Roland Mortier, Paris, Champion, 2006.
  • Charles-Joseph, Prince de Ligne, 3 vol., Bruxelles, ARLLFB/Complexe, coll. «Bibliothèque Complexe», 2006.

Bibliographie critique

  • Thèmes et figures du siècle des Lumières. Mélanges offerts à Roland Mortier, Genève, Droz, 1980.

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