BiographieNé à Ixelles le LE 11 avril 1925, Hubert Nyssen grandit dans un milieu marqué par ses grands-parents paternels : ingénieur d’origine liégeoise, disciple d’Élisée Reclus, Gabriel Nyssen veille à son éducation intellectuelle et morale; Louise Gaudin, originaire de Tours, lui inculque la nostalgie d’une France à retrouver. Son père, Édouard Nyssen, technicien commercial, est grand lecteur, peintre amateur et apiculteur; sa mère, Marie-Louise Brahy, personnalité anxieuse, rumine sans fin le naufrage du Titanic. D’autres fortes personnalités stimuleront sa ferveur littéraire : deux de ses instituteurs, Charles Hofman (par ailleurs peintre) et Albert Clerckx (Albert Ayguesparse), puis un surveillant, à l’Athénée de Forest, Victor Bol, futur auteur de travaux sur Segalen. Sous l’Occupation, l’adolescent se livre à des activités clandestines — transports de tracts et d’armes — et développe une vive passion pour une de ses enseignantes. Celle-ci, arrêtée pour faits de résistance, est déportée en Allemagne, dont elle ne reviendra pas. Cette image de femme suppliciée hantera toute l’œuvre à venir, du Nom de l’arbre (1973) à L’Helpe mineure (2009).
À la Libération, Nyssen passe par l’École de la Cambre — où il noue une amitié avec Pierre Alechinsky — avant de s’inscrire en philologie romane à l’ULB. Avec quelques amis issus de la clandestinité, il y fonde un cercle littéraire et prend part à une microstructure éditoriale à l’origine d’une unique publication collective, préfacée par Franz Hellens : 32 poèmes de guerre et d’amour (1946). Un zéro à son premier examen lui fait claquer la porte de l’université. Et de se lancer dans la publicité : à L’Innovation d’abord, ensuite au sein du bureau anversois de Walter J. Thompson (1949), puis à la direction de l’agence bruxelloise Vanypeco (1955). Dans l’intervalle, il a épousé Inga Christaens, premier mariage dont naîtra sa fille Françoise. En 1957, il fonde sa propre agence, l’agence Plans, avenue Molière à Bruxelles. Il y associe un centre culturel : théâtre, expositions, concerts. De petits volumes vendus lors de certains spectacles préfigurent le format Actes Sud.
En 1967, Nyssen publie, chez de Rache, un premier recueil de poésie, Préhistoire des estuaires; c’est aussi l’année de son second mariage, avec Christine Le Boeuf, dont naîtront Jules et Louise. Deux ans plus tard, il vend son agence pour s’installer en Provence dans un mas, au Paradou, dont l’annexe accueillera bientôt — en tandem avec le géographe Jean-Philippe Gautier — un Atelier de Cartographie Thématique et Statistique (ACTES). Il publie L’Algérie telle que je l’ai vue (1970) et L’Algérie (1972), avec de remarquables photos ramenées du terrain. Mais c’est en 1973 que l’écrivain prend son essor avec un roman chez Grasset : Le Nom de l’arbre. Fort d’une science du récit en gigogne, Nyssen y livre une des rares œuvres de fiction sur l’Occupation et l’immédiat après-guerre en Belgique. Avec La Mer traversée (1979), puis Des Arbres dans la tête (1982), ce roman formera une trilogie bruxelloise, mêlant mouvance de la mémoire et portrait d’une ville en mutation. L’écrivain prend la nationalité française en 1976, perdant de facto sa nationalité belge; c’est donc en qualité de membre étranger qu’il sera élu, en 1998, à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. D’Éléonore à Dresde (1983) à Pavanes et javas sur la tombe d’un professeur (2004) — en passant par Les Ruines de Rome (1989), L’Italienne au rucher (1995) et Zeg ou les infortunes de la fiction (2002) —, l’œuvre se développera dans un rapport de distance avec une Belgique qui ne se manifestera plus guère qu’à travers quelques sobriquets. Le spectre de la jeune enseignante assassinée en Allemagne fera toutefois retour, sous les traits de Julie Devos, dans Les Déchirements (2008), puis L’Helpe mineure (2009).
Le nom d’Hubert Nyssen est étroitement lié à la maison Actes Sud, qu’il fonde en 1978, au Paradou, en joignant au savoir-faire du publicitaire la passion de l’écrivain. Christine Le Boeuf assure la ligne graphique des premières couvertures. Françoise Nyssen, biochimiste de formation, vient renforcer l’équipe dès 1980. Trois ans après, Actes Sud s’installe en Arles, au bord du Rhône. La découverte de Nina Berberova en 1985, puis de Paul Auster en 1987 conforte le développement d’une maison d’abord identifiée à la littérature étrangère, avec des livres dont la séduction graphique symbolisera la singularité d’un catalogue construit loin de Paris, mais en dehors de tout provincialisme. En 1998, c’est d’une maison déjà très florissante que Nyssen cédera la direction à sa fille Françoise, tout en continuant d’en présider le Conseil de surveillance. Le père fondateur incarnera à partir de là, au sein d’Actes Sud, l’image d’une haute idée de la littérature qui serait aussi une éthique de l’édition.
Ces responsabilités, Nyssen les remplira avec une vigilante élégance jusqu’à sa disparition, en réservant le plus gros de son temps à la poursuite d’une œuvre s’exprimant dans les registres du roman, de la poésie, de l’essai et de Carnets en ligne. L’écrivain éditeur, selon un dédoublement qui lui était cher, s’est montré soucieux de transmettre un savoir-faire autant qu’une sagesse en fait d’«accastillage» de la chose littéraire. Docteur ès lettres de l’Université d’Aix-en-Provence en 1986 avec une thèse sur le paratexte (Du texte au livre, 1993), ayant ouvert au public ses carnets professionnels (L’Éditeur et son double, 1988-1996), Nyssen a enseigné, au début des années 1990, la pratique de l’édition à l’Université de Liège. Il s’éteint au Paradou le 12 novembre 2011, en laissant sur son écritoire le manuscrit d’un roman au titre évocateur : L’Orpailleur. – Pascal Durand
Bibliographie
- Préhistoire des estuaires, poésie, Bruxelles, André De Rache, 1967.
- Chrysostome ou les infortunes de la publicité, essai, Bruxelles, Arts & Voyages, 1968.
- Les Voies de l'écriture, essai, Paris, Mercure de France, 1969.
- L'Algérie telle que je l'ai vue en 1970, essai, Paris, Arthaud, 1970.
- Sémantique à bâtons rompus, essai, Bruxelles, Éditions Irène Dossche, 1971.
- Lexique du marketing, essai, Paris, Éditions Delpire, 1971.
- L'Algérie, essai, Paris, Arthaud, coll. «Les Beaux Pays», 1972.
- Le Nom de l'arbre, roman, Paris, Grasset, 1973 (rééd. Bruxelles, Les Éperonniers, coll. «Passé-Présent» n° 53, 1987; rééd. Arles, Actes Sud, coll. «Babel» n° 435, 2000).
- La mémoire sous les mots, poésie, Paris, Grasset, 1973.
- L'étrange guerre des fourmis, récit, Paris, L'École des Loisirs, 1975 (rééd. Arles, Actes Sud Junior, 1996).
- Stèles pour soixante-treize petites mères, poésie, Paris, Saint-Germain des Prés, 1977.
- Un résident très secondaire, récit, Actes Sud, 1978 (hors commerce).
- La Mer traversée, roman, Paris, Grasset, 1979.
- Le Rhône, récit, Arles, Actes Sud, 1980.
- Lecture d'Albert Cohen, essai, Arles, Actes Sud, 1981 (nouv. éd. 1988).
- Des arbres dans la tête, roman, Paris, Grasset, 1982.
- De l'altérité des cimes en temps de crise, poésie, Lausanne, L'Aire, 1982.
- Eléonore à Dresde, roman, Arles, Actes Sud, 1983 (rééd. Arles/Bruxelles/Lausanne, Actes Sud/Labor/L'Aire, coll. «Babel» n° 14, 1989).
- Le Livre franc, avec Jacques Chancel et les invités de «Parenthèses», essai, Arles/Paris, Actes Sud/France Inter, 1983.
- Le Nord, Paris, Épigones, 1984.
- Les Rois borgnes, roman, Paris, Grasset, 1985 (rééd. J'ai Lu n° 2770, 1999).
- L'éditeur et son double (3 vol.), essai, Arles, Actes Sud, 1988 (vol. I), 1990 (vol. II), 1996 (vol. III).
- Les Ruines de Rome, roman, Paris, Grasset, 1989 (rééd. Arles, Actes Sud, coll. «Babel» n° 134, 1999).
- Anthologie personnelle, poésie, Arles, Actes Sud, 1991.
- Les Belles Infidèles, roman, Arles, Actes Sud, coll. «Polar Sud», 1991 (rééd. Paris, Corps 16, 1997.
- La Femme du botaniste, roman, Arles, Actes Sud, 1992 (rééd. coll. «Babel» n° 317, 1998).
- Du texte au livre, les avatars du sens, essai, Paris, Nathan 1993.
- L'Italienne au rucher, roman, Paris, Gallimard, 1995 (rééd. Arles, Actes Sud, coll. «Babel» n° 664, 2004, sous le titre La Leçon d'apiculture).
- Le Boa cantor, Arles, Actes Sud Junior, 1996.
- Éloge de la lecture, suivi de Lecture d'Albert Cohen, essai, Montréal, Fides, coll. «Les Grandes Conférences», 1997.
- Petersbourg, avec des lithos de Serge Ceccarelli, poésie, Nice, École de la Villa d'Arson 1997.
- Le Bonheur de l'imposture, roman, Arles, Actes Sud, coll. «Un endroit où aller», 1998 (rééd. Paris, Grand caractère, 1999).
- Un point, c'est tout?, Arles, Actes Sud Junior, 1999.
- Quand tu seras à Proust, la guerre sera finie, roman, Arles, Actes Sud, coll. «Un endroit où aller», 2000.
- Mille ans sont comme un jour dans le ciel, opera buffa, musique de Dominique Lièvre, Avignon 2000, Arles, Actes Sud, 2000.
- Triptyque, Trois haï-kaïs sur des gravures d'Elisabeth Vernet, ouvrage collectif, poésie, Venise, Centro Internazionale delle Grafica de Venezia, 2001.
- Zeg ou les infortunes de la fiction, roman, Arles, Actes Sud, coll. «Un endroit où aller», 2002.
- Un Alechinsky peut en cacher un autre, essai, Arles, Actes Sud, 2002.
- Variations sur les Variations (avec les Variations Goldberg par Jean-Louis Steuerman / CD), essai, Arles, Actes Sud, 2002.
- Histoire du papillon qui faillit bien être épinglé, Arles, Actes Sud Junior, 2002.
- Sur les quatre claviers de mon petit orgue (lire, écrire, découvrir, éditer), essai, Montréal/Arles, Leméac/Actes Sud, coll. «L'Écritoire», 2002.
- Boa cantor, opérette, musique de Jean-Marie Sénia, Théâtre du Paradis 2002, Arles, Actes Sud Junior, 2003.
- Pavanes et javas sur la tombe d'un professeur, roman, Arles, Actes Sud, coll. «Un endroit où aller», 2004.
- Eros in trutina, poésie, Montréal/Arles, Leméac/Actes Sud, 2004.
- Lira bien qui lira le dernier, essai, Bruxelles, Labor/Espace de libertés 2004 (rééd. Arles, Actes Sud, coll. «Babel» n° 705, 2005.
- La sagesse de l'éditeur, essai, Paris, L'il neuf éditions, 2006.
- Neuf causeries promenades, essai, Montréal/Arles, Leméac/Actes Sud, coll. «L'Écritoire», 2006.
- Le monologue de la concubine, théâtre, Arles, Actes Sud Papiers, 2006.
- Neuf causeries promenades, essais, Arles, Actes Sud, coll. «L'écritoire», 2006
- Ivanovitch et Axenty, livret d'après Le journal d'un fou de Gogol, musique de D. Lièvre (en préparation).
Bibliographie critique- Jacques De Decker, Entretien avec Hubert Nyssen, Paris, Éditions du Cygne, 2005.
- Pascal Durand (dir.), L'écrivain et son double : Hubert Nyssen, Arles, Actes Sud, 2006.
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Discours de réception (séance publique du 5 juin 1999)
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