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Composition


Guy Vaes

Guy Vaes / Photo © Jean-Luc Lossignol, ARLLFB Membre belge littéraire du 11 octobre 1997 au 26 février 2012
Prédécesseur : Jacques-Gérard Linze
Successeur : Jean-Luc Outers
Fauteuil 23

Biographie

Plutôt que rivé à sa table de travail, Guy Vaes écrit en marchant. «M’attirait, au-delà du raisonnable, moi qui suis un possédé de la marche, l’étendue des faubourgs.» Et tout en marchant, il observe. C’est d’abord un écrivain du regard. De sa ville, Anvers, de ses rues, ses statues, ses immeubles, ses monuments, Vaes connaissait les moindres détails. Dans ses romans, les villes ne sont pas de simples décors mais de véritables personnages : Anvers d’abord, la ville natale, Londres ensuite sont un espace proprement romanesque pour l’auteur, «c’est comme un décor qui ne cesse pas de changer. On n’y a pas de perspective (…) Londres est un dédale qui ne se livre qu’au promeneur attentif».

Chez Guy Vaes, le regard du flâneur se double de l’œil du photographe. «Se promener dans une ville avec un appareil photo sur soi force à l’appréhender autrement…» En 1978, il publie Les Cimetières de Londres, un livre de photos dont se dégage un charme mélancolique de tombes engourdies dans la végétation ou dressées en bordure de l’agitation urbaine. Suit, en 1997, La Jacobée noire, photographies et poèmes. Le poème, comme la photographie, c’est pour lui l’irruption de l’instant saisi dans une langue.

Publié chez Plon en 1956, Octobre long dimanche, est le roman matrice de toute l’œuvre. Ce livre culte, parce que pendant près de 30 ans Guy Vaes fut l’homme d’un seul roman, est le récit d’une lente dépossession de soi qui s’opère en deux temps. Laurent Carteras apprend la mort de son oncle par le journal. Il en est pourtant l’héritier principal et, arrivé au domaine du défunt, on le confond avec le jardinier qui s’est évanoui dans la nature. Il devient à son tour le jardinier anonyme de la terre dont il était censé être le propriétaire. Plus tard, il est licencié de son emploi : se présentant comme chaque matin à son bureau de l’agence Lebel, son collègue ne le reconnaît pas, bien plus, il voit en lui un importun. Laurent finit par comprendre qu’il n’a plus sa place dans ce lieu de travail pourtant familier. Cet anti-héros subit «sa disparition comme une aventure, comme un évanouissement à la fois consenti et freiné». Lui dont le rapport au monde et aux êtres passe d’abord par le regard, est aussi son propre spectateur. Laurent fait songer au Joseph K de Kafka. L’un et l’autre adoptent sur leur sort une sorte de résistance passive qui confine au fatalisme. La parution du roman est saluée par quelques grands noms, Pascal Pia ou Julio Cortazar, alors que Jean-Baptiste Baronian, dans son anthologie de la littérature fantastique de Belgique, y voit «un des plus beaux romans fantastiques poétiques de la langue française».

Il faudra attendre 1983 pour que paraisse L’Envers, le deuxième roman de Guy Vaes couronné par le prix Rossel. Entre ces deux romans, il a publié deux courts essais : Londres ou le labyrinthe brisé (1962) et La Flèche de Zénon (1966), essai sur le temps romanesque. Pour des raisons alimentaires, il est devenu journaliste, occupation qui, selon ses dires, l’empêche «d’écrire la moindre ligne pour moi», jolie définition de l’écriture romanesque. La publication, par notre Académie, de 111 chroniques consacrées au cinéma des années septante montre le flair de l’auteur, qui a pu repérer l’œuvre naissante de cinéastes qui sont devenus des classiques.

Le titre L’Envers fait aussitôt songer à sa ville, Anvers, alors que le roman se déroule à Londres. Un homme nommé Broderick est mort fracassé sur les rochers au bord de la mer. On apprend plus tard que la vie palpite encore dans ce corps inerte transporté dans une clinique et placé dans un poumon d’acier. Une résurrection, en quelque sorte. Son ami Bruno Wölfin, qui séjourne à Londres, partage avec lui une même passion, celle des tableaux de Velasquez et du Tintoret. Bruno apprend alors que le ressuscité souhaite lui parler, pour lui livrer un ultime message. Comme pour se soustraire à cette dernière confrontation, il entreprend une sorte de voyage immobile dans le clair-obscur londonien, un voyage intérieur fait de rencontres et de visions. Ce roman initiatique abolit les cloisons entre la réalité et les apparences, entre la vie et la mort, entre le présent et le passé. Il est marque, comme les autres, par l’absence de toute notion d’avenir. Pour Guy Vaes, le seul temps qui requiert le romancier est le présent.

Ce climat, qualifié d’inquiétante étrangeté, on le retrouvera dans les trois romans suivants : L’Usurpateur (1993), Les Apparences (2001) et Les Stratèges (2002). Les deux premiers s’ouvrent sur une scène que l’on pourrait qualifier de primitive : le viol d’un arlequin, au sexe indéfini, dans L’Usurpateur et la prise d’un cliché d’une inconnue dans Les Apparences. Alors que ces scènes semblent mener le lecteur vers des récits balisés par le genre : roman policier, d’une part, et récit d’une passion d’autre part, l’auteur a vite fait de l’égarer dans les dédales de son art romanesque, art où précisément le psychologique est traqué et banni. Guy Vaes projette sur ses personnages un éclairage multiple qui leur confère profondeur et mystère et déroute le lecteur. Tel est pour lui le sens du fantastique : «éviter les chausse-trapes de la psychologie ».

L’écriture de Guy Vaes ne laisse rien au hasard à en juger par la précision de sa langue et de son vocabulaire. La lecture de son œuvre requiert du lecteur qu’il s’immerge dans ce climat d’inquiétante étrangeté à la manière du photographe de Blow up d’Antonioni qui, développant un cliché pris dans un parc, constate médusé que s’y dissimule un cadavre tapi dans le sous-bois. C’est que, selon le propre aveu de l’auteur, dérouter le lecteur par les multiples éclairages portés sur le récit fait partie de son projet romanesque, de même que témoigner de l’impossibilité d’exprimer toute chose à l’aide de mots.

– Jean-Luc Outers

Bibliographie

  • Ce qui m'appartient, poésie, Anvers, Orion, 1952.
  • Octobre long dimanche, roman, Paris, Plon, 1956 (rééd. Bruxelles, Jacques Antoine, coll. «Passé Présent», 1979).
  • «Poussière d'un monde», nouvelle, dans Fiction n°33, août 1956.
  • La flèche de Zénon. Essai sur le temps romanesque, essai, Anvers, Librairie des Arts, 1966 (rééd. Bruxelles, Labor, coll. «Poteau d'angle», 1995).
  • Les cimetières de Londres, essai, Bruxelles, Jacques Antoine, 1978.
  • Le Millénium éclair, poésie, Venise, édition privée, 1981.
  • L'Envers, roman, Bruxelles, Jacques Antoine, 1983.
  • Mes villes, essai, Bruxelles, Jacques Antoine, Bruxelles, 1986.
  • Suite irlandaise, poésie, Bruxelles, Jacques Antoine, 1987.
  • L'Usurpateur, roman, Bruxelles, Labor, 1994 (rééd. coll. «Espace Nord», 2006).
  • La Jacobée noire, poèmes et photographies de l'auteur, Anvers, éditions Marc Poirier dit Caulier, 1996.
  • L'Œil pharaonique, poèmes accompagnant les photographies d'André Janssens, Bruxelles, La Lettre volée, coll. «Poiesis», 2001.
  • Les Apparences, roman, Avin, Luce Wilquin, 2001.
  • Les Stratèges, roman, Avin, Luce Wilquin, 2002.
  • 111 films, chroniques de cinéma (1970-1983), Bruxelles, ARLLFB/ Le Cri, 2007.
  • Sigur, ou presque, roman, Bruxelles, ARLLFB, 2024

Bibliographie critique

  • André Sempoux, Guy Vaes. L'œuvre en lumière, Avin, Luce Wilquin, 2006.

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Communications

Discours de réception (séance publique du 6 juin 1998)



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